Helena Zapolsky – Groupe de Physique des Matériaux
Enseignante-chercheuse en physique des matériaux - Laboratoire GPM | UMR 6634
" Au cours de ma carrière scientifique, j’ai eu la chance de travailler dans plusieurs laboratoires de recherche dans le monde. Cela m’a permis d’enrichir mon approche scientifique, discuter et confronter les résultats obtenus avec les pairs et participer ainsi au développement de réseaux pour de nouvelles collaborations. "
- Pouvez-vous vous présenter ? Quelle est votre thématique de recherche ?
Je suis née à Kiev en Ukraine, où j’ai fait mes études à la Faculté de Physique de l’Université.
Ma formation initiale, en physique théorique, m’a permis au cours de ma carrière scientifique de travailler dans des domaines de la physique très divers : en commençant par la physique des nuages interstellaires autour des étoiles en formation (à l’Observatoire de Kiev), ensuite au cours de ma thèse dans le domaine des supraconducteurs à haute température (à l’Institut de Physique Théorique à Kiev). Puis, après mon arrivée en France en 1991, j’ai étudié les propriétés des oxydes, la cinétique de relaxation dans les polymères et les propriétés physiques des alliages. J’ai été recrutée à l’université de Rouen en 1996 où je travaille comme enseignante-chercheuse au Groupe de Physique des Matériaux (GPM), UMR 6634. Au sein du GPM, je dirige une équipe de modélisation qui étudie les propriétés des alliages métalliques.
- Pourquoi avez-vous choisi de venir exercer vos activités de recherche en France, et plus spécifiquement au sein du GPM ?
La recherche scientifique par sa nature ne connait pas de frontières géographiques. Quand on exerce ce métier, le séjour à l’étranger et l’échange avec des collègues à l’international constituent une étape essentielle dans la vie d’un chercheur.
Au début de ma carrière scientifique, j’ai travaillé dans le domaine des supraconducteurs à haute température. Les supraconducteurs sont des matériaux surprenants : en-dessous d’une température critique, leur résistance à un courant électrique devient nulle, ce qui permet le transport d’électricité sans perte d’énergie. En 1986, des chercheurs ont découvert pour la première fois des matériaux supraconducteurs à des températures relativement élevées (-150°C) et depuis, la compréhension de ce phénomène représente une sorte de Graal de la physique. Dans des années 1990 j’ai participé à plusieurs conférences internationales sur ce sujet où j’ai rencontré les chercheurs français, leaders mondiaux dans ce domaine. Suite à ces échanges, j’ai été invitée à passer plusieurs séjours scientifiques à l’université d’Amiens, de Toulon et de Marseille.
Le Groupe de Physique des Matériaux à l’université de Rouen Normandie possède une plateforme instrumentale de premier rang mondial pour mener l’étude de la compréhension de la matière jusqu’aux échelles les plus fines. En 1996, le GPM a affiché une volonté de créer une équipe de modélisation pour adosser le travail expérimental à une modélisation numérique adaptée aux différentes échelles observées. Dans ce cadre, j’ai été recrutée la même année en tant que Maître de conférences pour mener ce projet.
- Votre carrière internationale vous a-t-elle permis de développer davantage de projets avec d’autres pays ? Si oui, lesquels ?
Au cours de ma carrière scientifique, j’ai eu la chance de travailler dans plusieurs laboratoires de recherche dans le monde. Cela m’a permis d’enrichir mon approche scientifique, discuter et confronter les résultats obtenus avec les pairs et participer ainsi au développement de réseaux pour de nouvelles collaborations. En particulier, les collaborations avec les chercheurs de l’École royale polytechnique de Suède (KTH), de l’université de Berkeley et de Pennsylvanie aux États-Unis, l’université d’Iéna et l’Institut Max-Planck à Düsseldorf en Allemagne, l’université de Cracovie en Pologne, les universités de Changsha et de Pékin en Chine, EMPA à Zurich, l’Institut de Physique Statistique à Lviv en Ukraine ont permis proposer des projets collaboratifs du type ANR ou des projets européens. Tous ces projets ont initié des collaborations de longue durée et encouragé des échanges entre les jeunes chercheurs du GPM et les laboratoires de ces établissements.
- Depuis le début de l’offensive russe dans votre pays d’origine, vous avez été particulièrement active pour accompagner vos compatriotes, en France comme en Ukraine. Pourriez-vous nous en dire davantage sur votre engagement ?
Le 24 février 2022, à 5 h 30 du matin, le peuple ukrainien s’est réveillé sous les bombes russes. En tant que citoyenne d’un pays démocratique comme la France, et d’origine ukrainienne, je ne pouvais pas rester indifférente à cette agression ignoble de la Russie. Avec mes collègues du GPM, soutenus par la Direction des relations internationales et de la coopération (DRIC) de notre Université, nous avons organisé plusieurs collectes de produits première nécessité pour l’Ukraine. À cette occasion, j’aimerais remercier tous les collègues qui ont apporté leur aide pour ces collectes. Plusieurs d’entre eux ont également proposé un logement pour les réfugiés ukrainiens et à ce jour nous avons accueilli cinq chercheuses ukrainiennes et leur famille. J’aimerais aussi remercier le directeur de l’INSA de Rouen Normandie, M. Mourad Boukhalfa, qui leur a mis à disposition quatre appartements dans un résidence de l’INSA. Avec mes collègues, nous accompagnons ces familles dans toutes leurs démarches administratives et essayons de leur apporter un peu de réconfort après les atrocités de la guerre qu’elles ont vécues.
- En tant qu’enseignante-chercheuse, quel regard portez-vous sur cette guerre, et son impact plus spécifique sur la recherche et l’enseignement supérieur ukrainiens ?
À l’ombre des bombes, des chercheurs ukrainiens continuent de travailler, en tout cas dans la partie ouest de l’Ukraine. Ils continuent d’assurer des cours en ligne pour les étudiants et organisent des séminaires de travail. Plusieurs collègues des instituts scientifiques de Kiev, Lviv et d’Odessa ont refusé de partir et continuent de travailler et de protéger les installations. Cependant, plusieurs instituts et universités à l’est de l’Ukraine ont été complètement détruits. Par exemple, à Kharkiv, deuxième ville du pays, les bombardements russes ont totalement détruit plusieurs bâtiments de l’Université et l’Institut National de Physique et de Technologie. Ces institutions possédaient plusieurs installations expérimentales uniques au monde et collaboraient avec de nombreux laboratoires et organismes internationaux. Ces pertes pèseront lourd pour la recherche en Ukraine et mettront indéniablement en pause plusieurs projets scientifiques européens.
Face à cette situation, certaines institutions nationales se mobilisent pour offrir une aide aux chercheurs ukrainiens et éventuellement à leurs familles en les accueillant au moins temporairement. L’université de Rouen Normandie accueille les scientifiques ukrainiens qui souhaitent venir dans ses laboratoires avec l’aide du programme PAUSE. Un fonds d’urgence proposé par le gouvernement français permet d’aider le chercheur et sa famille pendant 3 mois avant de s’inscrire au programme PAUSE.
- Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
La guerre en Ukraine a montré la fragilité de nos valeurs fondamentales basées sur la paix, la démocratie, l’État de droit et la solidarité que nous pensions acquises pour toujours. Cette guerre a réveillé la conscience du monde occidental et témoigne qu’il faut sans cesse soutenir ces valeurs démocratiques et veiller sur elles.