Cléo Santini, étudiante à l’ESITech
Lauréate du concours de nouvelles organisé par le SCD
"La littérature et les sciences sont des domaines qu'on a tendance à écarter le plus possible, mais personnellement je retrouve le même plaisir à travailler sur les deux et j’y vois de nombreuses similitudes. "
- Présentez-vous, quelles études suivez-vous ? Quel a été votre parcours ?
Je m’appelle Cléo Santini et actuellement je suis à l’ESITech de Rouen dans la branche génie physique. L’ESITech a l’avantage d’être une école d’ingénieurs classique mais qui est également intégrée à l’université. Tous nos professeurs sont des enseignants-chercheurs. C’était quelque chose que je recherchais : rester dans ce cadre universitaire. Nous avons la chance d’avoir un parcours qui est très large, où nous abordons beaucoup de disciplines et où la dernière année peut être personnalisée.
Toute ma scolarité, j’ai eu la même ligne de conduite. Dès le lycée j’ai hésité entre la filière scientifique et la filière littéraire. J’ai finalement fait un Bac S mais avec l’idée de pouvoir appliquer les sciences aux arts plastiques. J’ai toujours voulu quelque chose de très généraliste avec beaucoup de matières. C’est pour cela que j‘ai fait une classe préparatoire et c’est pour cela que j’ai ensuite intégré l’ESITech. J’avais l’impression que les matières proposées ici pouvaient facilement s’appliquer aux arts et en particulier à l’art contemporain. Aujourd’hui, je suis en stage de fin d’études à Bordeaux, dans une association qui s’appelle Zébra 3 et qui aide justement des artistes à produire des œuvres d’art. J’y suis en tant qu’ingénieure et c’est super !
- Quels sont vos projets futurs ?
L’an prochain, je commence une thèse. Elle n’aura rien avoir avec l’art contemporain, mais j’ai accepté le sujet car je vais la faire au Centre d’élaboration de matériaux et d’études structurales (CEMES) de Toulouse, une structure qui me plaît beaucoup et dans laquelle je me sens bien. Après cette thèse, je ne sais pas exactement où j’irai. Depuis petite, j’ai envie de devenir professeure. Je sais que dans l’ingénierie en art contemporain il y a peu de ressources financières, et c’est compliqué d’en faire son métier. L’idéal serait d’être professeure à mi-temps et le reste du temps de continuer à aider des artistes à réaliser des œuvres avec mes compétences en physique. Je ne sais pas exactement où je vais, je me laisse un peu porter selon les possibilités qui s’offrent à moi et c’est cela qui me plaît.
- Comment associe-t-on physique et arts plastiques ?
C’est une question qui revient souvent. C’est quelque chose qui peut être très varié et c’est pour cela que je voulais avoir accès à beaucoup de disciplines de la physique. Un exemple qui est assez parlant, c’est Céleste Boursier-Mougenot qui a créé une œuvre au musée des abattoirs de Toulouse. C’est un artiste qui utilise beaucoup le son et la musique. Son œuvre met en scène des pianos qui se déplacent de manière aléatoire dans une pièce sans jamais toucher les murs. Mais ils peuvent se heurter entre eux et provoquer un énorme boucan parce que toutes les cordes de ces pianos résonnent d’un cou. Il a donc fallu travailler sur le déplacement des pianos. Autre exemple, je travaille avec un artiste qui veut faire une horloge lunaire. Il y a des néons qui doivent s’allumer pour reproduire la position de la lune à un instant précis : une pleine lune, une lune semi-pleine, aucun néon d’allumé pour une nouvelle lune. C’est un projet qui est tout simple à mettre en place et à coder, mais l’artiste qui a eu cette idée n’a aucune compétence informatique. Mon travail ici va être de réaliser le programme, de souder tous les câbles entre eux et de lui fournir cela avec des exigences qui sont celles de l’art, à savoir qu’il y a souvent moins d’argent que pour faire des voitures ou que dans la recherche. Généralement, il y a une grande discussion avec l’artiste sur ce qu’il est possible de faire et de trouver le juste milieu entre son imagination et les réalités financières et techniques que nous avons à disposition. C’est un grand défi de devoir réussir à jongler entre l’imaginaire et la réalité et de faire devenir l’imaginaire réel.
- Vous avez remporté récemment le concours de nouvelles organisé par le service commun de documentation (SCD) de l’URN. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Au début, le thème ne m’inspirait pas du tout (ndlr : le thème était une référence à l’ouvrage d’Annie Ernaux Les Années et à la citation : « Trouver une phrase pour soi, une phrase qui, quand on se la dit en silence, aide à vivre »). Je me suis dit tant pis et que j’allais juste lire le livre d’Annie Ernaux. Mais à trois jours de la fin du concours, j’ai eu un déclic et j’ai su ce que j’allais écrire : ne pas mettre en avant une seule phrase, mais des phrases. Il restait peu de temps et donc l’écriture a été intense. J’ai écrit en reprenant un contexte que j’avais déjà imaginé pour une autre écriture, c’est-à-dire un trajet de tram dans la ville de Rouen jusqu’au technopôle Un trajet que j’ai beaucoup fait. J’ai commencé à écrire sans savoir exactement où j’allais, simplement avec l’idée de mettre à l’honneur certaines phrases importantes pour moi, certains événements de ma vie. Vers la moitié de ma nouvelle, j’ai enfin compris quel était mon but. Elle se conclut justement sur l’idée que la phrase qui aide à vivre, c’est cette phrase : « une phrase pour soi, une phrase qui, quand on se la dit en silence, aide à vivre ». Parce que justement elle appelle toujours à écouter et à soupeser le poids des mots.
- On imagine plus des étudiants en lettres qu’une étudiante en école d’ingénieurs écrire des nouvelles. Qu’est-ce qui fait que vous vous êtes retrouvée à écrire ?
De base en école d’ingénieurs, je me distinguais par mon attrait pour tout ce qui est littéraire. J’aime beaucoup la physique, mais j’aime aussi beaucoup la littérature. Je lis énormément. J’ai toujours aimé, beaucoup de domaines, beaucoup de matières et je pense que le fait de faire des études de physique me pousse quand je rentre chez moi à faire du français et des lettres. Comme ce n’est pas présent dans mes études, cela me manque dans ma vie quotidienne. Il faut aussi préciser que ce sont des pôles, la littérature et les sciences, qu’on a tendance à écarter le plus possible. Mais personnellement je retrouve le même plaisir à travailler sur les deux et j’y vois de nombreuses similitudes. Par exemple, dans l’art contemporain et dans les mathématiques, il y a une espèce de jeu d’abstraction où on essaye de représenter le réel tout en étant très loin. Dans l’algèbre en particulier, il y a ce jeu d’abstraction qui est très fort et que moi, je trouve très artistique et très beau. J’en parle d’ailleurs dans ma nouvelle. Je dis que par exemple, dans le tram de Rouen, on peut observer des jeux de lumières. Ces jeux de lumières en physique-chimie, on va les expliquer par des équations, alors qu’en art, on va les apprécier, et les observer avec peut-être plus d’émotions. Il y a un sens physique et un sens métaphysique et connaître ces deux sens je trouve cela très important. On oppose trop souvent ces domaines alors que pendant très longtemps ils étaient très proches. Si je remonte jusqu’à l’Antiquité, Pythagore faisait de la philosophie et des sciences. Même chose pour Descartes, Pascal, etc.
- Avez-vous été heureuse de remporter ce prix ? Est-ce que cela vous donne envie d’aller plus loin ?
Il faut savoir que c’était la première fois que je réussissais à terminer un texte. Je ne l’avais jamais fait avant celui-là. J’ai beaucoup de mal à me relire. Quand je relis ce que j’ai écrit, je trouve toujours que c’est mauvais. Ma grand-mère m’a relu, mais moi j’étais incapable de le faire parce que dès que je commençais à me relire, j’avais un peu honte et je me disais que je n’allais pas l’envoyer. Donc déjà, ce concours m’a permis de finir un texte. Et le fait d’avoir réussi à finir un texte m’a encouragé à participer à d’autres concours. J’ai participé dans la foulée à un concours proposé par le CROUS . Je pense que le fait de créer appelle le fait de créer. Par ailleurs, un concours me permet aussi d’avoir un thème. J’aime avoir cette contrainte et pouvoir jouer autour. Cela me donne aussi une date butoir et l’obligation de terminer. Pour revenir à ce concours, le fait de gagner m’a beaucoup surpris. Je ne m’y attendais pas du tout. J’étais évidemment contente. Cela m’a donné un peu plus confiance en moi. Mais même si comme pour beaucoup de personnes qui lisent régulièrement, ce serait un rêve d’écrire un livre, je m’en sens très loin, cela me semble totalement invraisemblable. Déjà, j’aimerais bien continuer à écrire et réussir à faire des textes en apprenant à les retravailler.