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Rencontre avec un enseignant-chercheur de l'Université

Brice Gouvernet, laboratoire CRFDP

Enseignant-chercheur au laboratoire CRFDP, UFR Sciences de l'Homme et de la Société

"La sexualité est un moteur fort du vivant, elle motive une pluralité de comportements. Elle est à la base de nombreuses relations humaines. Elle peut constituer le point de départ d'une relation avec un partenaire, en assurer le ciment, ou conduire à la fin d'une relation."

  • Présentez-vous en quelques mots.

Je suis Docteur en psychologie et psychologue, enseignant-chercheur (maitre de conférences en psychologie) à l’université de Rouen Normandie depuis 2009. J’ai réalisé une thèse traitant de la question du vécu de la séropositivité au VIH dans le cadre de mon doctorat. En parallèle j’ai été bénévole dans une association de lutte contre le sida. Dans ce cadre j’ai été amené à assurer ou participer à des actions de prévention et de réduction des risques sexuels auprès de publics divers.

L’ensemble de ces expériences m’ont conduit à souhaiter développer des recherches dans le champ de la (des) sexualité(s) humaine(s). Les travaux des psychologues sont encore rares en France et lorsqu’il s’agit d’envisager les comportements sexuels ou la sexualité stricto-sensu. La sexualité est pourtant un moteur fort du vivant, elle motive une pluralité de comportements. Elle est à la base de nombreuses relations humaines. Elle peut constituer le point de départ d’une relation avec un partenaire, en assurer le ciment, ou conduire à la fin d’une relation.

 

  • Quelles sont vos activités au laboratoire CRFDP (Centre de Recherches sur les Fonctionnements et Dysfonctionnements Psychologiques) ?

La sexualité est une composante de la santé reconnue par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) depuis les années 2000. Ces dernières années, en 2016 / 2017, le Haut Conseil de la Santé Publique et le Ministère des Affaires Sociales et de la Santé ont proposé de développer une stratégie nationale de santé sexuelle. Mes recherches se situent donc dans un axe dont la pertinence a été reconnue par les autorités.

Au sein de laboratoire CRFDP de l’université de Rouen Normandie, je m’inscris dans une équipe dont l’objet de recherche concerne les vulnérabilités. Dans le cadre de mes recherches j’ai pour objectif d’aborder la sexualité comme source de potentielles vulnérabilités, mais aussi d’aborder l’impact que peuvent avoir des vulnérabilités psychologiques et sociales sur la sexualité.

Encore faut-il s’entendre parce que l’on appelle sexualité. Schématiquement, la sexualité peut se diviser en trois dimensions. Il y a la question des fonctions et dysfonctions sexuelles (par exemple les troubles du désir, les troubles de l’érection, les troubles de l’orgasme, les douleurs ressenties lors des relations sexuelles…). Il y a aussi la question des comportements sexuels. Ceux-ci sont en perpétuelle mutation, et l’évolution des technologies conduit à de nouvelles réflexions concernant les comportements sexuels. On peut penser à la question des relations à distance, à la question de la consommation de pornographie, mais aussi, et la recherche internationale sur ce point n’en est qu’à ses balbutiements, penser à la question des robots sexuels. Les fonctions sexuelles, comme les comportements sexuels peuvent être source ou vecteur de vulnérabilités psychologiques et entraîner des souffrances psychologiques et sociales. Mais ils peuvent également résulter de vulnérabilités individuelles comme interindividuelles, de fragilités personnelles comme relationnelles.

Enfin, questionner la sexualité c’est également interroger le regard que portent les individus sur leur sexualité. La satisfaction sexuelle est une notion importante lorsqu’il s’agit de rendre compte du rapport subjectif à la sexualité. C’est une dimension qui, lorsqu’elle est positive est généralement salutaire pour la santé mentale et sociale. A contrario, une satisfaction sexuelle basse peut affecter négativement les fonctionnements psychologiques individuels comme interindividuels.

 

  • Quel a été l’impact de la situation de crise sanitaire actuelle sur vos travaux ?

Le 17 mars 2020 la France est entrée en confinement en raison de la crise sanitaire liée au Coronavirus Covid-19. Le confinement a imposé à toutes et tous des changements des relations sociales. Certain.e.s ont été confiné.e.s seul.e.s, d’autres ont choisi de se confiner en couple. Certain.e.s n’ont pu voir leur.s partenaire.s habituel.le.s pendant de nombreuses semaines. D’autres ont eu à vivre avec au quotidien avec leur partenaire pour la première fois et ceci 24h/24. Il est donc probable que le confinement ait conduit à des changements dans la façon de vivre notre intimité et notre sexualité. C’est donc cette hypothèse générale que nous avons voulu étudier : étudier l’impact du confinement actuel sur la vie intime et sexuelle.

Nous avons supposé que cet impact concernait le vécu de la sexualité, tant dans sa dimension corporelle (la sexualité dans sa dimension corporelle) que psychologique ou relationnelle (les émotions sexuelles, les motivations, les cognitions en lien avec la sexualité). Cet impact pouvait également se situer au niveau des comportements sexuels, qui, pour certains, pouvait être plus fréquemment adoptés pendant cette période alors que d’autres pouvaient être moins mobilisés (consommation de pornographie, masturbation, sexting, sexcams…). L’impact du confinement sur la vie affective et intime était sans doute également dépendant de contraintes matérielles : selon avec qui nous sommes confiné.e.s (ou avec qui nous ne sommes pas confiné.e.s), selon notre lieu de confinement, nos comportements sexuels, nos pensées, nos émotions pourraient être différentes.

Afin d’étudier ces hypothèses, nous avons questionné l’influence potentielle que le confinement pouvait avoir sur le fonctionnement sexuel de notre corps, sur les comportements sexuels actuels et leurs motivations, sur la façon de penser, vivre et éprouver la sexualité, tant individuellement qu’en relation, sur la satisfaction que ressentie à l’égard de la vie sexuelle. En tant que psychologue, nous avons pris en considération également le potentiel impact psychologique de la situation actuelle ainsi que des typicités du fonctionnement psychologique individuel.

 

  • Vous travaillez conjointement avec Alain Giami directeur de recherche à l’INSERM, et Mireille Bonierbale psychiatre et sexologue, Présidente de l’Association Interdisciplinaire post-Universitaire de Sexologie. Comment se déroule votre collaboration ?

Alain Giami et Mireille Bonierbale sont des experts de la sexualité parmi les plus reconnus en France mais aussi à l’international. Alain Giami est membre de la chaire scientifique à la World Association for Sexual Health. Quant à Mireille Boinierbale, elle a reçu le gold award 2019 de la World Association for sexual health. Nous avions par le passé déjà échangé sur nos différents projets de recherche et avons amorcé, avant le confinement, des projets, notamment en lien avec les questions de l’épistémologie des sex research.

Lorsque le confinement a été annoncé, c’est naturellement que nous nous sommes mis en relation tous les trois afin de monter un recueil de données. La construction du questionnaire a dû être rapide, compte tenu du contexte. Nous avons du nous mettre d’accord sur les dimensions à investiguer, les questions à poser… mais cela s’est fait rapidement car nous avons tous été réactifs. Nos atouts sont complémentaires. Alain Giami a l’expérience des grandes enquêtes sur la sexualité en France. Mireille a une expérience sans commune mesure de la clinique des sexualités. L’un comme l’autre ont une connaissance académique et clinique issue de leurs années de pratiques. De mon côté, j’ai également l’expérience des traitements données quantitatives. Enfin, tous les trois, nous nous intéressons à la dimensions psychologique et sociale de la sexualité : Mireille Bonierbale est psychiatre, Alain Giami à un cursus de psychologie et je suis psychologue. Nous n’avons pas forcément la même manière de penser les données ou de les analyser, mais c’est une force que d’avoir un triple regard !