
Rencontre avec un enseignant de l'Université
Anne-Charlotte Bas, maître de conférences
UFR Santé - Directrice du département d'odontologie de l'université de Rouen Normandie
« Si nos étudiants suivent des cours théoriques, ils sont également très vite confrontés à la pratique. C’est une spécificité de l’odontologie. C'est vraiment une discipline qui a toujours été en avance en simulation, celle-ci existe depuis qu'il y a des écoles dentaires, et ça fait plus de 100 ans ! »
Publié le 18 mars 2025
- Présentez-vous ! Quel est votre rôle au sein de l’université de Rouen Normandie ?
Je m’appelle Anne-Charlotte Bas. Je suis maître de conférences et praticienne hospitalière en odontologie, qu’on appelle plus communément la chirurgie dentaire. Je suis la directrice du département d’odontologie de l’université de Rouen Normandie, depuis son ouverture en 2022, au sein de l’UFR Santé.
- Quel a été votre parcours pour arriver jusque-là ?
J’ai un double parcours. Après l’obtention de mon diplôme de chirurgien-dentiste à l’université Paris Descartes, j’ai décidé de recommencer mes études en économie. C’est ainsi que j’ai également obtenu un doctorat en économie de la santé à l’université Paris-Dauphine.
Dans le cadre de ces recherches, je me suis intéressée à l’accès aux soins lorsque le patient est confronté à des difficultés financières ou géographiques. Une problématique que nous connaissons en Normandie, notamment pour obtenir un rendez-vous chez le dentiste !
Fin 2021, afin d’augmenter le nombre de professionnels formés et d’améliorer l’offre de soins, le gouvernement a annoncé, en collaboration avec les conseils régionaux et les collectivités territoriales concernées, la création de huit nouveaux sites universitaires de formation en odontologie. Parmi eux, celui de Rouen. Après avoir accompagné le développement du futur département d’odontologie de l’université de Rouen Normandie, j’ai déménagé en Normandie pour en prendre la direction en septembre 2022.
- Parlez-nous du département d’odontologie qui a ouvert ses portes à l’URN il y a deux ans et demi.
Le département d’odontologie, c’est le département qui accueille et forme les futurs chirurgiens-dentistes. À l’issue de leur formation (Bac +6), ils pourront faire le choix de commencer leur exercice ou de poursuivre deux à trois ans supplémentaires pour se spécialiser davantage, par exemple en orthodontie. Dans l’idéal, nous aimerions les voir s’installer en Normandie, région qui manque de praticiens (à titre d’exemple, dans l’Eure, il y a 35,7 dentistes pour 100 000 habitants contre 62 dentistes pour 100 000 habitants en moyenne en France). C’est en tous les cas notre vœu en ouvrant ce département à Rouen.
Nous n’avons pas encore fini tout le cursus, et avons donc encore beaucoup de challenges à relever. Au-delà d’un travail de direction, c’est aussi un travail de développement que je mène avec toute l’équipe du département.
Pour l’instant, nous formons aux deux premiers cycles. Nos 66 étudiants sont répartis dans trois promotions.
Après avoir réussi une première année de PASS-LAS aux côtés des futurs médecins, pharmaciens ou maïeuticiens, nos étudiants arrivent au sein de notre département pour suivre un parcours exigeant composé d’un grand volume de travaux pratiques (TP). Ceux-ci nécessitent beaucoup d’encadrement, du matériel de pointe et des locaux en capacité d’accueillir des simulateurs réalistes et performants (appelés fantômes) sur lesquels ils vont s’entraîner des centaines d’heures avant de commencer la phase clinique lors du second cycle.
Depuis cette année, notre première promotion commence à soigner ses premiers patients à l’hôpital dans le service d’odontologie. Ils continuent également leur formation à l’UFR en abordant des cas plus techniques et compliqués en TP.
Du côté de l’Université, nous allons bientôt préparer le dossier pour demander l’accréditation pour le troisième et dernier cycle, qui peut être un cycle court ou un cycle long. Dans un premier temps, nous travaillons sur un cycle court qui permettra de délivrer les premiers diplômes d’État de docteur en chirurgie dentaire de l’URN en 2027.
- La création et le développement de ce département répondent à des enjeux majeurs au niveau de la santé publique. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ?
Lorsque nous croisons la carte des déserts médicaux et la carte des facultés dentaires, on constate rapidement que là où il y a des déserts médicaux, il n’y a pas de « fac ».
À Rouen, nous avons l’opportunité de nous adosser à une UFR Santé importante et imposante. Nous avons donc la possibilité de développer le département sur un terrain très fertile. C’est sûr, cela demande beaucoup d’efforts à l’équipe. Nous sommes vraiment très investis dans cette idée de former les chirurgiens-dentistes normands de demain. Nous connaissons le besoin. Nous savons que dans ces zones qui sont sous-dotées, nos confrères sont sous l’eau. Les patients eux sont parfois en grande souffrance avec des trajectoires de soins qui sont très erratiques. C’est réellement ce qui nous motive dans notre démarche. Lorsqu’on est confronté à la douleur et qu’on ne peut pas trouver de soins, c’est absolument des situations très difficiles à vivre.
Or, depuis plusieurs années, la littérature internationale a montré que de développer des universités dans ces zones sous-dotées contribue à l’installation de professionnels sur ces territoires. Quand on a grandi dans une région, quand les proches y sont encore présents, bien souvent, on a envie d’y rester. C’est en revanche plutôt compliqué de convaincre de jeunes praticiens issus d’autres territoires de venir s’installer. Ce n’est pas une idée incongrue que d’envisager sereinement que les futurs chirurgiens-dentistes que nous formons resteront dans la région. Nos étudiants disent majoritairement qu’ils vont rester. Je ne sais pas si c’est pour me faire plaisir, mais je leur fais confiance et j’en serais très contente.
- Comment se déroule la formation et en quoi ce département est-il à la pointe de l’enseignement médical ?
Lorsque vous êtes étudiant en odontologie, vous avez bien sûr l’obligation d’acquérir des connaissances fondamentales sur les maladies de la bouche, des dents et des mâchoires. Nos étudiants sont donc formés par des maîtres de conférences associés qui s’appuient sur une équipe composée de plusieurs intervenants chirurgiens-dentistes pour la quasi-totalité. Nous nous appuyons également sur nos collègues de l’UFR Santé pour les thématiques médicales comme la cardiologie ou la bactériologie. C’est une approche globale à laquelle nous tenons beaucoup parce qu’au cours de leur exercice ils intégreront des équipes pluriprofessionnelles. Nous accordons par ailleurs une place importante aux qualités relationnelles du futur professionnel de santé. Ils sont ainsi amenés à faire beaucoup de sciences comportementales pour travailler leur relation pratique au patient.
Si nos étudiants suivent des cours théoriques, ils sont également très vite confrontés à la pratique. C’est une spécificité de l’odontologie. C’est vraiment une discipline qui a toujours été en avance en simulation, celle-ci existe depuis qu’il y a des écoles dentaires, et ça fait plus de 100 ans ! L’URN est particulièrement investie sur ce segment avec une chaîne de production au sein du département. Plusieurs personnes dans l’équipe développent des nouveaux simulateurs, des nouveaux modèles d’entraînement qui sont basés sur des réflexions en pédagogie médicale. C’est d’abord la pédagogie qui dicte la conception, mais aussi les critères de paramétrage de l’impression 3D et l’évaluation des modèles. Nous avons un enseignant qui fait son doctorat en pédagogie médicale et sur le développement de nouveaux simulateurs. Les étudiants bénéficient notamment de deux nouveaux simulateurs en chirurgie orale et en pédiatrie qui sont développés ici. En chirurgie orale, nous avons collaboré avec le laboratoire du GPM et c’est aussi ce qui nous a motivés à nous lancer pour la suite !
- À titre personnel, quelle discipline enseignez-vous ?
Comme beaucoup d’universitaires, ma passion, c’est de chercher et de transmettre mes découvertes. J’enseigne donc ce que je recherche, c’est pourquoi je fais beaucoup de cours de santé publique et d’économie de la santé pour le besoin du département ou de l’UFR.
- Le département d’odontologie de l’URN veut continuer d’évoluer et de grandir. Quelles sont les prochaines étapes ?
Début 2026, nous accueillerons les patients dans un tout nouveau service à Martainville. Celui-ci viendra renforcer l’offre de soins qui existe déjà à Saint-Julien. Même si ce service sera transitoire dans l’attente de la livraison d’un bâtiment dédié au département odontologie à l’horizon 2030, il permettra de poursuivre notre développement. L’augmentation du nombre de fauteuils assurera d’excellentes conditions de formation pour les étudiants et les patients seront accueillis dans des conditions de sécurité optimales. Nous serons présents pour accompagner nos étudiants qui auront bénéficié qui plus est d’une formation d’excellence tout au long de leur externat.
Ensuite, comme nous l’avons évoqué, nous travaillons au dépôt du dossier d’accréditation pour le 3ᵉ cycle. En parallèle, nous avançons sur l’aspect immobilier. Afin d’accueillir des promotions de plus en plus importantes (avec un objectif de 51 étudiants par promo) et l’ensemble de ces promotions dans un espace adapté, nous travaillons avec les services compétents à l’ouverture d’un bâtiment universitaire et hospitalier d’ici à la rentrée 2030.
- Plus d’étudiants prochainement, cela veut donc dire plus d’enseignants également ?
L’équipe est prête à partager la responsabilité qu’elle porte ! Donc, nous avons vraiment la place pour un investissement à plusieurs niveaux : pour des collègues hospitalo-universitaires venant structurer le département comme pour des confrères qui veulent faire de l’encadrement de TP ou de l’encadrement clinique hospitalier. Nous avons envie d’ouvrir l’équipe et de la renforcer. À toutes les échelles. Et les confrères qui viendront pour ça, nous les accompagnerons dans les formations qui seront nécessaires selon leur implication.