Changer de constitution procède rarement d’une volonté mûrie, unanime et uniforme d’adopter un nouveau texte. Les renouvellements constitutionnels tendent, en réalité, à émaner d’une crise dans laquelle l’ancienne Constitution est suffisamment discréditée ou/et ne permet plus l’expression institutionnelle des rapports de force politiques.
Cela fut vrai pour l’avènement de la Constitution de la Vᵉ République qui procéda d’une situation insurrectionnelle liée à la question algérienne, et l’hypothèse est aujourd’hui à prendre au sérieux concernant son remplacement.
Une Vᵉ République ébranlée
Cette hypothèse constituante doit d’abord être considérée parce que les critiques qui lui sont adressées sont nombreuses et bien connues.
Certes, elles n’avaient jusqu’à présent jamais suffi à contrebalancer les principales vertus dont cette Constitution est parée mais deux d’entre elles sont remises en cause à la lumière de la crise institutionnelle actuelle.
La première est sa capacité à offrir à une force politique de concrétiser son programme politique. La seconde est son aptitude à écarter l’extrême droite du pouvoir. Or, ces deux fondements ont été largement ébranlés par la dissolution décidée par Emmanuel Macron, le 9 juin 2024.
D’une part, la déliquescence du fait majoritaire, le déficit contemporain de culture de la délibération parlementaire et les calculs en vue de l’élection présidentielle de 2027 rendent, à cette heure, très incertaine la perspective d’un gouvernement pérenne capable de mener une action cohérente. Certes l’Assemblée nationale peut ne durer qu’un an, mais rien ne garantit que la nette tripartition des blocs partisans disparaisse après une nouvelle dissolution.
D’autre part, si le Front républicain a permis d’empêcher l’accession du Rassemblement national à Matignon, cela ne saurait éclipser le fait que c’est bien cette force dont la progression, tant en voix qu’en siège, est la plus forte à l’issue des législatives, si bien que l’hypothèse de sa victoire en 2027 ne peut être écartée et parait même renforcée. La Constitution de la Ve République apparaît donc, sur ces deux points, éminemment fragilisée.
Cette hypothèse constituante doit également être envisagée parce que chacune des trois premières forces politiques issues des urnes peut trouver un intérêt à soutenir, ou du moins ne pas s’opposer, à un changement de constitution.
La gauche, avant tout, car la VIe République figure dans le programme du Nouveau Front populaire, l’ancienne majorité présidentielle également car elle a semblé obsédée par l’efficacité gouvernementale du droit constitutionnel qui est remise en question par la nouvelle configuration, et l’extrême droite enfin car abroger la Constitution de la Ve République répond au sensible rejet institutionnel de ses électeurs. Par ailleurs, la population paraît ouverte à l’idée.
Les voies légales pour modifier la constitution
Si cette option constituante était retenue, trois méthodes pourraient permettre de faire advenir une nouvelle constitution conformément aux procédures que la constitution actuelle prévoit.
La première, « classique », est de mobiliser l’article 89 de la Constitution qui encadre explicitement la procédure de modification du texte constitutionnel pour procéder à une révision intégrale de la Constitution. Initiée soit par le président de la République, soit par les parlementaires, cette modalité de changement de la constitution nécessiterait un accord sur le nouveau texte non seulement au sein des deux chambres parlementaires mais aussi entre elles. Or la division des forces politiques rend cette perspective, pour l’heure, irréaliste.
La seconde, « polémique » en ce qu’elle pourrait être considérée comme une violation de la constitution, est d’invoquer l’article 11 en s’appuyant sur la pratique gaullienne des précédents de 1969 et surtout de 1962, qui a institué l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Cette voie permettrait, en convoquant directement un référendum, de « court-circuiter » les assemblées parlementaires mais reviendrait à confier au seul président de la République le soin de chapeauter l’élaboration de la nouvelle constitution.
Dans les deux cas, les citoyens ne seraient, au mieux, associés à la procédure que pour ratifier la révision sans avoir pu prendre part à son élaboration, ce qui amène à envisager la troisième solution qui consisterait en une procédure à double détente. Il s’agirait dans un premier temps de ne modifier que le seul article 89, autrement dit de réviser la procédure de révision, afin d’arrêter de nouvelles règles d’élaboration de la Constitution qui fonderaient, dans un second temps, la mise en place d’une procédure constituante sur mesure.
Cette méthode de la « double révision », éprouvée en 1958, présenterait l’avantage d’ouvrir la marge de manœuvre constituante et notamment d’élargir la représentation à d’autres acteurs que ceux issus des partis politiques, qui sont tous, de façon diverse, associés à la crise de régime actuelle. Elle pourrait par exemple prendre la forme d’une Convention constituante élue adossée à des assemblées citoyennes organisées au niveau local, qui coexisterait jusqu’à la fin de son travail avec les institutions de la Ve.
Risquée mais nécessaire ?
Il est vrai que cette option constituante est susceptible d’aggraver la crise de régime car rien ne peut garantir, au-delà de la bonne volonté et de l’inspiration des participants au processus constituant, de la qualité de la délibération ni du contenu de la future constitution.
Cependant, elle pourrait tout aussi bien représenter une sortie de crise par le haut susceptible de répondre directement à des problèmes qui minent structurellement le régime français tels que l’étendue du pouvoir présidentiel, la vigueur des contre-pouvoirs, l’ancrage des droits et libertés individuels et l’intensité de la participation citoyenne.
Si le président de la République a véritablement « confiance dans le peuple » comme il l’indiquait pour justifier la dissolution, et le souci de ne pas laisser comme principal héritage historique l’extrême droite au pouvoir en 2027, alors, à court ou moyen terme, l’hypothèse constituante est à considérer.
Auteurs
Alexis Blouët, Chargé de recherche CNRS, juriste, Aix-Marseille Université (AMU) et Antonin Gelblat, Maitre de conférences en droit public, Université de Rouen Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Date de publication : 22/08/24