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Santé mentale et soin psychique de l’enfant (4/5)

L’université de Rouen Normandie est partenaire de The Conversation, média en ligne proposant du contenu d’actualité élaboré avec des universitaires. À travers cette rubrique, retrouvez les articles de nos collègues.

En amont de toute prise en charge thérapeutique, la pédagogie recèle déjà de nombreux dispositifs prometteurs pour lutter contre la souffrance psychique des enfants. Comment et pourquoi ?

Pratiques pédagogiques : des alliées sous-estimées pour lutter contre les souffrances psychiques de l’enfant

En conclusion de notre série « Santé mentale et soin psychique des enfants », nous publions deux articles présentant des pistes thérapeutiques explorant des voies complémentaires aux traitements médicamenteux et aux pratiques psychothérapeutiques.

Comment faire lorsqu’un enfant ou un adolescent est en souffrance psychique ? Si l’alerte a notamment été donnée en début d’année sur ce sujet délicat et en plein essor dans un rapport du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA), la question des traitements et des options thérapeutiques divise les spécialistes.

Paradoxalement, alors que l’importance des pratiques éducatives est régulièrement mise en avant par les experts et les pouvoirs publics, au côté des approches psychothérapeutiques, sociales et du soutien des familles, elles restent peu connues.

Elles font ainsi rarement l’objet d’une présentation détaillée dans les « guides de bonnes pratiques » et les recommandations des agences de santé, voire se réduisent à des conseils sommaires qui ne rendent pas compte de la complexité ou de l’ingéniosité des techniques, concepts et dispositifs éducatifs favorables au développement ou à l’épanouissement de l’enfant. Nous avons ici pour objectif de synthétiser certaines de ces approches dont la mise en pratique serait pertinente pour des enfants et des adolescents en situation de souffrance psychique.

La pédagogie au service de la santé mentale des enfants vulnérables

Ces lacunes sont d’autant plus surprenantes que, durant ces deux derniers siècles, de nombreux pédagogues ont dédié leurs travaux à l’accompagnement spécifique des enfants les plus vulnérables. Leurs pratiques et modèles éducatifs ont même souvent été pensés en regard de ces besoins particuliers. Ils ont progressivement essaimé dans l’ensemble du champ pédagogique, pour intégrer les pratiques quotidiennes des enseignants et des éducateurs.

Penser des dispositifs éducatifs pour les enfants en situation de souffrance psychique ou de handicap implique d’envisager la pédagogie et les institutions pédagogiques dans leur ensemble. Leur déploiement engage à adapter les outils, les pratiques et les enjeux relatifs au savoir et à sa transmission, ainsi que le fonctionnement des groupes et des institutions éducatives au bénéfice de tous les enfants.

La pédagogie se définit comme théorie et pratique de l’action éducative. Elle concerne l’école et toutes les situations d’apprentissage, de transmission et de vivre ensemble. La question du bien-être, de la souffrance et du soin psychiques est au cœur de ses préoccupations.

Plusieurs figures de la discipline ont réfléchi à la construction d’environnements répondant aux difficultés de l’enfant, en partant de ses besoins. Ces recherches ont mis en évidence des invariants pédagogiques à un environnement et à une posture éducative propices à son développement.

On peut noter que ces pratiques se sont construites « dans les marges », avec des enfants en difficulté ou qui mettent les équipes en difficulté. Elles se caractérisent par un pragmatisme dont il pourrait être intéressant de s’inspirer.

Des environnements adaptés pour répondre aux difficultés de l’enfant

Enseignants, éducateurs et pédagogues peuvent puiser dans la tradition de l’éducabilité initiée par des médecins pédagogues, à l’instar de Jean Itard, d’Édouard Seguin (dont les apports respectifs seront repris par Maria Montessori), ou encore d’Alfred Binet qui insiste sur la nécessité d’adapter la pédagogie au potentiel des enfants. Tous ont cherché à appréhender l’enfant dans sa complexité psychologique et affective.

Cette perspective est également bien illustrée par le travail de Fernand Deligny, référence de l’éducation spécialisée, sur les conditions nécessaires à un environnement accompagnant, non pathologique et potentiellement réparateur à destination de l’enfant. Les différentes caractéristiques de ces environnements sont centrales :

  • Sécurisant et prévisible

Une dimension fondamentale de l’éducation est de proposer un environnement structurant, prévisible, respectueux, où l’enfant est considéré comme une personne à part entière. Cela suppose d’être attentif à sa sécurité physique, matérielle et affective. Cette approche passe également par le fait d’ajuster le mobilier à leurs besoins – dans la tradition initiée par Pauline Kergomard ou Marie Pape-Carpantier à l’école maternelle. L’aménagement de l’espace ou des règles de vie n’est pas anecdotique.

Proposer un environnement adapté aux besoins des enfants contribue à leur épanouissement, à leur mise en confiance. Marko
Poplasen/Shutterstock
  • Respectueux de ses besoins physiologiques et psychologiques

Le pédagogue Ovide Decroly a construit tout un modèle prenant en compte les centres d’intérêt et les besoins fondamentaux de l’enfant : ses questionnements se retrouvent dans les réflexions sur les rythmes de ce dernier, l’organisation des journées dans les espaces scolaires et périscolaires.

Dans cette perspective, les temps calmes et les récréations peuvent être des moments pédagogiques liés au jeu, tel que pensé dans les mouvements d’Éducation populaire. Un autre exemple concerne les projets de flexibilisation des espaces d’apprentissage, à l’école et dans la sphère familiale, le besoin de vivre dans un espace ritualisé avec des rythmes structurés laissant une place au besoin de jouer et d’expérimenter.

  • Reconnaissant l’intérêt de sa parole

L’importance des sentiments d’appartenance et d’attachement au groupe passe par le fait d’y être intégré, de se faire des amis et de prendre part aux processus décisionnels.

En développant des conseils d’enfants et en cherchant à prendre en compte leur parole, le pédiatre Janus Korczak a permis d’éclairer ces enjeux, tout comme le pédagogue Paulo Freire dont les dispositifs dialogiques individuel/collectif intégraient la singularité d’un sujet.

Maud Mannoni et Françoise Dolto ont, quant à elles, expérimenté des dispositifs pour favoriser le déploiement de l’expression des enfants et promu la prise en compte de leur parole – y compris quand ils n’ont pas encore acquis les compétences langagières ou sont en difficulté.

  • Où il est responsabilisé

La responsabilisation aide également à mieux s’inscrire dans le collectif. Des éducateurs comme Anton Makarenko, Janus Korzack, Célestin Freinet, Fernand Oury et les tenants de la pédagogie institutionnelle ont, en ce sens, pensé les environnements éducatifs comme des institutions comprenant des conseils d’enfants ou des espaces de régulation du vivre ensemble, où les enfants ont un peu de pouvoir sur ce qui les concerne. Les échanges autour des retours sur expérience concourent à apprendre comment devenir responsable.

Il ne s’agit pas de céder sur la responsabilité de l’adulte, mais de créer un espace d’exercice de la citoyenneté avec une « montée en responsabilité » – concernant la participation à l’aménagement des lieux, les ajustements collectifs, scolaires et sociaux pour accueillir la diversité, etc.

  • De découverte et d’exercice de son pouvoir sur le monde

Les enfants ont besoin de ne pas toujours être soumis aux décisions des adultes et de pouvoir se mobiliser sur des activités choisies, ou de proposer eux-mêmes des activités, afin de pouvoir agir sur eux-mêmes ou sur le monde, et d’avoir prise sur ce qui les concerne. Ces principes apparaissaient en creux chez de nombreux spécialistes comme Maria Montessori avec sa théorie de la pédagogie du choix.

  • Avec des adultes attentifs

Pour être en confiance, les enfants ont besoin d’être soutenus par des adultes qui veillent à la qualité de leur relation. La mise en perspective de l’importance de l’empathie et d’une attitude positive inconditionnelle par Carl Rogers peut être un point de repère utile. Par ailleurs, les adultes doivent pouvoir assumer une fonction de médiation et d’étayage entre directivité et semi-directivité, constate le psychopédagogue Jérôme Bruner.

L’adulte ne doit pas abandonner ses responsabilités mais guider l’enfant tout en adoptant la bonne distance. ESB Professional/Shutterstock

Faire l’expérience de la réussite et avoir un sentiment de compétences sont également essentiels comme le montrent les travaux d’Albert Bandura. Par exemple Célestin Freinet a repensé les questions d’évaluation pour les remplacer par des brevets de compétences quand d’autres ont développé une « pédagogie du chef-d’œuvre ».

Cela suppose de proposer des projets créatifs permettant d’exprimer ses affects (dans la lignée de l’éducation nouvelle portée notamment par Germaine Tortel), en association avec la pratique des jeux symboliques ou les pratiques de médiation culturelle dans les œuvres littéraires – comme le propose le psychopédagogue Serge Boimare dans une perspective de soutien et de réparation psychologique pour des enfants « empêchés de penser ».

  • Où les adultes sont eux-mêmes accompagnés

Dans le cadre ordinaire de l’école, nombreux sont les enseignants et les personnels éducatifs à dire leur difficulté à ne pas pouvoir ou ne plus savoir comment faire. Les formations sont de fait lacunaire et ne font pas suffisamment place aux expressions croisées et à l’analyse des situations et des savoirs d’expérience. Ce point constitue un enjeu majeur du bon accueil des enfants en situation de souffrance psychique à l’école.

Quelles perspectives en termes de santé mentale de l’enfant ?

Ce patrimoine permet de penser des actions éducatives concrètes en faveur du soin, de l’éducation, de l’accompagnement et de la santé mentale de l’enfant. La plupart de ces propositions a fait l’objet de pratiques au long cours, de formalisations et de théorisations reconnues au niveau international, au point qu’elles ont progressivement intégré les pratiques ordinaires d’enseignement ou d’éducation spécialisée.

Ces propositions « très françaises » peuvent paraître datées dans un contexte national où la prévention universelle, l’éducation pour tous, les pédagogies nouvelles, le soin singulier apporté à la personne par des équipes pluridisciplinaires, l’ancrage dans le lieu de vie et la communauté ont longtemps dominé… Elles sont toutefois critiquées depuis plusieurs années par les promoteurs d’une standardisation des pratiques et de thérapies protocolisées, simples, courtes et symptomatiques.

Elles sont pourtant en ligne avec la littérature scientifique internationale, qui plaide pour une « école promotrice de santé » et une « psychiatrie préventive » intégrée dans des modifications des environnements de vie et dans des initiatives de promotion de la santé mentale et physique des jeunes. Des points qui peuvent être mis en œuvre dans le cadre scolaire.

La conclusion de ces travaux est que prendre en compte de multiples facteurs liés au mode de vie des jeunes constitue une approche prometteuse pour lutter contre les troubles mentaux.

« Au-delà de la simple mise en œuvre de programmes prêts à l’emploi, des ressources et des pratiques sont nécessaires pour faire progresser les résultats académiques et de santé. […] Dans les écoles, les professionnels de santé peuvent se positionner comme catalyseurs du changement structurel car ils ont des occasions de défendre et de participer à la mise en œuvre intersectorielle des réformes et innovations dans les systèmes scolaires pour promouvoir la santé de tous les élèves. » (Supporting every school to become a foundation for healthy lives, The Lancet, 2021)

Concevoir des pratiques pédagogiques adaptées aux singularités de l’enfant, intégrées à son contexte d’apprentissage et de vie, et qui lui permettent de développer sa santé générale, sa créativité, son adaptabilité, ses capacités émotionnelles, relationnelles et à agir, est essentiel à sa bonne santé mentale. Les recommandations du HCFEA, dans la lignée de la recherche internationale, vont en ce sens.

Au moment où la santé mentale et la souffrance psychique des plus jeunes font l’objet de vives préoccupations, et où l’embolie du système de soin pédopsychiatrique ne permet plus de les recevoir dans des délais satisfaisants, ces réflexions ont pour objectif de rouvrir des pistes, de retrouver des leviers et des gestes éducatifs susceptibles de contribuer à leur accompagnement et de leur apporter des aides.

Auteurs

Sébastien Ponnou, Psychanalyste, Maître de Conférences en Sciences de l’Education à l’Université de Rouen Normandie, Université de Rouen Normandie,

Diane Bedoin, Professeure des Universités en Sciences du langage, Laboratoire DYLIS, Université de Rouen Normandie,

Dominique Méloni, Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation, spécialité psychologie de l’éducation. Psychologue clinicienne, Université de Picardie Jules Verne (UPJV),

Laurent Lescouarch, Professeur des Universités en Sciences de l’Education, Université de Caen Normandie,

Maryan Lemoine, Maitre de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, Université de Limoges,

Xavier Briffault, Chercheur en sciences sociales et épistémologie de la santé mentale au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Dernière mise à jour : 28/06/23

Date de publication : 27/06/23