Choisir en la personne de Richard Ferrand un membre politique proche de votre couleur lorsque vous êtes président de la République est le réflexe qu’ont eu tous les présidents avant Emmanuel Macron. Ainsi en est-il, par exemple, de : Roger Frey pour Charles de Gaulle, Roland Dumas pour François Mitterrand, Jean-Louis Debré pour Jacques Chirac, ce qui est un peu moins réel pour Laurent Fabius. Le président du Conseil constitutionnel n’est que rarement choisi pour des raisons propres au rayonnement de l’institution.
Pour autant, les décisions rendues par le Conseil constitutionnel ne seront probablement pas guidées par des motifs d’accointances politiques, et cela pour plusieurs raisons.
D’abord pour des motifs de sociologie des institutions. Montesquieu enseignait que toute institution avait pour but de rechercher le maximum de sa puissance et ainsi la plus grande indépendance de son action dans un but d’optimisation de sa puissance. On peut attendre de Richard Ferrand, une fois président, qu’il recherche, comme tous ses prédécesseurs, l’indépendance de son institution, et cela sans angélisme mais pour maximiser son pouvoir.
Ensuite, l’institution a de tout temps « acculturé » ses membres qui, une fois nommés, n’ont plus en tête l’affinité politique mais le perfectionnement de l’action pour laquelle ils sont nommés, comme l’a démontré Dominique Schnapper dans ses travaux. Il n’existe aucune raison pour que cela ne perdure pas aujourd’hui. La phrase de Robert Badinter va dans ce sens lorsqu’il énonçait que chaque membre se devait à un « devoir d’ingratitude » envers son autorité de nomination. Quand bien même l’on imaginerait Richard Ferrand souhaitant « faire un cadeau politique » à Emmanuel Macron pour rendre une décision, il en serait institutionnellement et juridiquement empêché : par les services, par les autres membres, et par le circuit de rendu d’une décision.
Enfin, le processus par lequel la décision de constitutionnalité passe est particulièrement ancré, indépendant et sérieux, et garantira une solide décision juridictionnelle. Un service de la documentation étudie en amont toute loi susceptible d’être transmise à l’institution en suivant les travaux parlementaires, les travaux d’autres juges et de la doctrine. Ledit service est en liaison avec le service juridique qui prépare tous les arguments juridiques des futures décisions, dans un sens comme dans un autre puisque seul le rapporteur de la décision tranchera. Ce rapporteur, ces services, sont aidés par la véritable cheville ouvrière de l’institution : le secrétaire général nommé généralement dans les rangs des conseillers d’État et rompu à l’exercice de la justice. Le membre rapporteur, assisté du secrétaire général, des services juridiques et du greffe, délibère ensuite avec les autres membres de manière à écrire la décision à plusieurs mains afin de préserver l’un des plus beaux mythes de la démocratie : celui de la décision écrite à l’unanimité des membres présents. Il faut donc une dose réelle de consensus pour s’entendre sur tous les mots de la rédaction qui se doit d’être suffisamment juridique pour qu’in fine, la décision soit à l’abri de la critique.