Nous nous approchons de plus en plus des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. L’organisation bat son plein, les sportifs se préparent, les fans patientent, leurs billets bientôt entre leurs mains. Et comme chaque mois, le site internet de l’université de Rouen Normandie fait un focus sur un aspect de l’URN lié à l’olympisme. Si le mois dernier nous étions partis à la rencontre de Mathieu Jeöl, doctorant de l’URN qui revenait d’un voyage à Olympie, cette fois-ci nous rencontrons Ludovic Seifert. L’enseignant-chercheur de l’université de Rouen Normandie travaille sur plusieurs projets de recherche liés à l’olympisme, et tout particulièrement autour de la natation.
Vous ne le savez peut-être pas encore, mais si l’été prochain vous levez les bras devant votre télévision grâce à une victoire française en natation lors des Jeux Olympiques ou Paralympiques de Paris 2024, vous le devrez peut-être un peu à un enseignant-chercheur de l’université de Rouen Normandie. Ludovic Seifert est professeur des universités au sein du laboratoire CETAPS de l’URN. Il travaille en neurosciences comportementales, appliquées au sport, afin de mieux comprendre le contrôle des aspects perceptifs et moteurs dans le comportement des sportifs. S’il travaille sur de nombreux sports depuis des années, notamment l’escalade, il est depuis un peu plus de trois ans à la barre de deux importants projets de recherche liés aux performances sportives en vue de Paris 2024. Le premier, le projet PIA ANR NePTUNE concerne la natation, quand le second, le projet ANR TEAM-sports, étudie les sports collectifs.
Des projets nationaux de grande envergure
« Les projets NePTUNE et TEAM-SPORTS ont été financés sur quatre ans par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR), jusqu’aux JO de Paris 2024. Cela nous a permis de nous équiper en matériel et de lancer ces projets de grande ampleur », explique Ludovic Seifert. Le matériel dont il parle correspond à des capteurs de mouvement, des caméras, dont certaines sous-marines, des logiciels, des GPS, des LPS (l’équivalent du GPS, mais pour l’intérieur). Grâce à tout cela, il peut analyser les performances de nombreux sportifs et échanger avec leurs entraîneurs. « Nous croisons toujours nos outils avec la vidéo afin d’avoir une analyse qualitative et subjective que nous pouvons montrer à l’entraîneur. Il n’y a que le traitement et la mise en figure qui permettent d’illustrer les chiffres. L’entraîneur veut rattacher nos données à des aspects visibles, il aime bien avoir un visuel, donc de la vidéo ou des images ».
Si ces projets de recherche sont portés par des laboratoires comme le CETAPS, ils font aussi appel à d’autres unités de recherche et jouent le jeu de la transdisciplinarité. « Nous associons toujours des laboratoires de mathématiques et d’informatique », poursuit le professeur. « À Rouen, nous travaillons notamment avec le LITIS et le LMRS qui nous aident à analyser les données que l’on récolte. Derrière, nous essayons de répondre à des problématiques qui sont plus liées aux neurosciences, qu’elles soient très fondamentales – comment contrôler le mouvement – ou très appliquées – quelle forme de pédagogie mettre en place pour favoriser l’acquisition de ces habiletés perceptives et motrices -. »
Mais alors quel est le but de ces deux projets ? « L’objectif est d’avoir un accompagnement scientifique en vue d’optimiser la performance. Nous devons poursuivre non seulement des objectifs scientifiques, mais aussi des objectifs sportifs. Il faut répondre à des questions scientifiques, mais avec une applicabilité pour les sportifs », continue Ludovic Seifert. D’ailleurs au moment du lancement de ces projets, il a été demandé aux chercheurs de lister les potentiels médaillables aux JO qui allaient pouvoir profiter de cette recherche.
Le projet NePTUNE en marche pour des médailles olympiques
En natation, les sportifs qui peuvent ramener un métal brillant l’été prochain sont un certain nombre. C’est la raison pour laquelle le projet NePTUNE est si important. « Nous avons d’abord testé nos protocoles sur les jeunes générations », explique l’enseignant-chercheur. « Ce sont des nageurs espoirs, qui seront les seniors de demain et avec qui il était plus facile de mettre en place des protocoles, plus facile de se tromper ou d’avoir du délai dans les temps de traitement. Mais une fois que les test ont donné satisfaction, avec des pré-résultats que nous pouvions présenter aux entraîneurs des nageurs de l’équipe de France senior, nous avons pu nous attaquer aux potentiels médaillables. Nous avons touché une bonne partie des nageurs de l’équipe de France. Si nous prenons tous les tests que nous proposons, je pense que nous ne sommes pas loin d’avoir touché 80% des nageurs de l’équipe de France. Quant aux para-nageurs, nous les avons tous évalués ».
Le projet NePTUNE se base sur trois volets de recherche :
- Analyser des compétitions et des entraînements à partir de système de tracking vidéo pour étudier les stratégies des nageurs français et la concurrence.
- Etudier l’efficacité propulsive, c’est-à-dire découvrir comment on génère de la propulsion en jouant sur les paramètres qui déterminent la vitesse de nage, notamment la fréquence gestuelle et la coordination motrice.
- Analyser sur les forces résistives, c’est-à-dire minimiser les résistances à l’avancement qui peuvent être passives, liées à la forme du corps et à l’écoulement de l’eau de celui-ci, ou actives, en fonction du mouvement qu’on fait et des vagues qu’on crée.
À partir de ces aspects de la recherche et des conclusions qui en découlent, Ludovic Seifert et ses équipes peuvent retourner auprès des entraîneurs des nageurs pour leur proposer des pistes d’intervention. « Les entraîneurs ont des intuitions, ils voient des choses. Nous, nous venons pour confirmer ou infirmer ce qu’ils voient. Il y a des choses sur lesquelles ils ne sont pas sensibilisés, parce que ce ne sont pas leurs préoccupations. De notre côté, nous venons mettre l’accent sur quelque chose de nouveau pour eux ». Le chercheur du CETAPS prend un exemple plus concret pour illustrer ses propos. « En compétition, les entraîneurs ont tendance à prendre ce qu’on appelle les temps de passage par zone. Le nageur plonge, sort avant 15 mètres, nage jusqu’à la moitié du bassin, et ensuite fait l’autre moitié. L’entraîneur prend des temps de passage et regarde comment le nageur gère sa course selon des portions. Le problème c’est que ces zones sont composées d’un certain nombre de cycles et donc on ne fait qu’approximer ce qui se passe à chaque cycle. Nous, ce que nous avons voulu proposer aux entraîneurs, ce sont des mesures précises pour chaque cycle. C’est une approche plus microscopique qui fonctionne sur les paramètres de vitesse, de fréquence, d’amplitude. Tant qu’ils n’avaient pas accès à ces informations, elles ne paraissaient pas utiles aux entraîneurs. Mais à partir du moment où nous leur avons montré qu’un nageur qui était stable d’une longueur à l’autre pouvait varier à l’intérieur de celle-ci, ils ont beaucoup apprécié. Nous sommes venus mettre en lumière de nouveaux problèmes ».
Sur le projet NePTUNE, Ludovic Seifert met en avant l’approche systémique qui consiste à modifier une petite chose dans un comportement afin de réorganiser l’ensemble. « Générer une performance, c’est toujours une question de compromis. Ce qu’on gagne d’un côté, on risque de le perdre de l’autre. Cela peut perturber l’ensemble. Modifier la respiration de quelqu’un qui habituellement respire tous les deux mouvements de bras du côté droit, c’est prendre le risque de perdre en propulsion, de moins bien se coordonner, de se désorganiser. Mais sur le long terme, cela pourrait lui être favorable ».
Un enjeu aussi pour les sports collectifs
Ludovic Seifert mène plusieurs projets en parallèle. Outre NePTUNE, il est également investi sur TEAM-SPORTS qui étudie les aspects psychosociaux en handball, football, volley, basket et rugby. Le professeur se consacre aux deux derniers sports cités. « Dans ce projet, nous nous intéressons aux coordinations motrices interpersonnelles », explique-t-il. « Nous voulons découvrir comment les joueurs prennent des décisions et s’organisent collectivement, comment ils interagissent, comment ils régulent leurs actions, quelles sont les informations partagées et ensuite trouver les moyens d’optimiser leurs interactions pour devenir de plus en plus experts ».
Pour travailler sur ce projet, les chercheurs utilisent des GPS et des LPS afin d’obtenir les positions des joueurs sur le terrain et étudier ensuite les réseaux d’interaction, qu’ils soient verbaux, non-verbaux, moteurs ou médiés par le ballon. « Ma contribution dans ce projet est à nouveau sur les neurosciences comportementales puisque j’essaye de comprendre comment une forme d’orientation identitaire, donc orientée plutôt sur des buts de performance individuelle ou sur des buts de performance collective, change les prises de décision des joueurs, change les interactions qu’ils ont entre eux », précise l’enseignant-chercheur.
Des projets phares pour le CEROUEN
Le projet NePTUNE comme le projet TEAM-SPORTS sont très importants pour le tout récent CEROUEN de l’URN. Ludovic Seifert explique pourquoi. « Le CEROUEN est une plateforme qui permet de recenser les actions et de faciliter la mise en relation des différents acteurs. C’est un catalyseur d’initiatives. Ces projets s’inscrivent dans le but d’aider les sportifs d’un point de vue scientifique pour rationaliser leurs performances en vue des JO. Mais il se développe également à l’échelle locale puisque nous avons des équipes ou des athlètes qui sont au niveau national voire international. Je prends l’exemple d’Alexis Hanquinquant qui est para-triathlète, qui a gagné cinq fois les championnats du monde et qui a remporté les Jeux paralympiques de Tokyo. C’est un athlète normand qui habite près d’Yvetot et s’entraîne à Rouen. Il sera en lice pour un nouveau titre paralympique, et nous avons travaillé avec lui ».
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Date de publication : 12/12/23