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« Movember » : réussir à parler du cancer masculin à tout âge sans tabou

Revoici « Movember », où le port de la moustache entend sensibiliser aux cancers masculins. Retour sur des enjeux de santé publique majeurs compliqués à aborder, qui touchent aussi les plus jeunes.

En France, le cancer des testicules est le type de cancer le plus répandu chez les hommes de 15 à 35 ans. Au mois de « Movember », les hommes du monde entier sont invités à se laisser pousser la moustache dans le but de sensibiliser l’opinion publique et de lever des fonds pour la recherche dans les maladies masculines. La prévention de ce type de cancer reste difficile, et pour pallier cela les actions qui se multiplient ces dernières années prennent l’axe de l’humour comme vecteur.

Très importante et située après « Octobre Rose » pour le cancer du sein (qui touche également les hommes), cette initiative basée sur la pilosité écarte cependant une partie des malades : les enfants atteints de cancers pédiatriques.

Movember et le « Shave Down »

C’est en 2003 que naît l’initiative Movember. Des amis australiens se alors lancent un défi : réhabiliter le port de la moustache pour sensibiliser le grand public aux cancers de la prostate et des testicules, les deux types de cancers qui touchent le plus les hommes, et à leur dépistage.

Movember, mot-valise issu de la contraction de « mo » qui veut dire « moustache » en Australie et de « November », est arrivé pour la première fois en France en 2012. Depuis, chaque année, de nombreux événements sont proposés aussi bien aux hommes qu’aux femmes (autres que le port de la moustache, rassurez-vous mesdames !).

L’idée de « Movember » est avant tout de « changer le visage de la santé masculine » à travers le port de la moustache. Mais également de promouvoir l’activité physique pour protéger sa santé.

À partir du 1er novembre (journée du « Shave Down », du rasage), les hommes qui souhaitent participer au Movember (les « Mo Bros ») doivent se raser complètement. Ils sont ensuite invités à se laisser pousser la moustache pendant les 30 jours que dure le mois de novembre.

Le cancer des testicules touche essentiellement de jeunes adultes

Le cancer des testicules touche principalement les hommes entre 15 et 29 ans. Cela fait de lui le premier cancer de l’homme jeune en France. S’il est dépisté tôt, il se soigne très bien. Dans 95 % des cas, la maladie est diagnostiquée à temps. La prévention est quasiment synonyme de guérison et la survie à cinq ans oscille entre 98 et 99 % pour les formes purement locales et est supérieure à 70 % pour les formes métastatiques.

Pour s’assurer que le testicule ne présente rien d’anormal, il est essentiel de l’inspecter régulièrement. Or ce genre de pratiques restent souvent taboues : dans l’imaginaire collectif, elles touchent en effet à la virilité…

Autre frein masculin à ce genre de soin : ces messieurs sont plus vulnérables aux effets à long terme du stress, mais beaucoup d’hommes touchés par une dépression ne se soignent pas car ils perçoivent les problèmes émotionnels comme une faiblesse qu’il est préférable de cacher.

Il est donc nécessaire de présenter l’autopalpation comme un acte naturel, positif – et pas « gênant ». Si l’autopalpation mammaire est désormais plébiscitée chez les femmes pour lutter contre le cancer du sein, elle doit l’être tout autant chez les hommes au niveau des testicules !

Autopalpation sans tabou et campagnes sur un ton décomplexé

De nombreuses campagnes ont pris le parti de traiter les questions de santés intimes masculines avec un côté humoristique permettant de rendre la communication moins gênante à partager. L’humour mis en avant permet de décomplexer le public visé.

Par exemple, dans « Le monde des Cuys » (2014), le dépistage testiculaire via l’autopalpation est ainsi évoqué grâce à des… cochons d’Inde ! Ou plus précisément leurs cousins géants, les Cuys, très populaires en Amérique du Sud (à prononcer [kɥi] – oui, comme celles de ces messieurs).

Il y a néanmoins souvent un trou dans le public ciblé par ces spots de prévention, si importants qu’ils soient. Joués plutôt par des acteurs assez âgés ou focalisés sur le cancer de la prostate, ils ne permettent pas toujours de comprendre que certains types de cancers masculins touchent aussi les plus jeunes.

Les trois dernières campagnes de Movember jouent ainsi des jeux de mots et des caricatures qui parleront (et évoqueront plutôt) un public adulte sinon mâture. En 2018, c’est ainsi un « vrai film de boules » qui est monté. Le spot malicieux filant la métaphore pétanquiste pour inciter les hommes à surveiller leur « matériel ».

L’année suivante privilégie la caricature et un détournement des codes. « Le coup de la panne » sort bateau de luxe, lunettes de soleil, musique, raisin comme agapes… jusqu’à ce qu’un énorme coup de frein ne fasse tanguer les invités. Les verres se brisent et, par métaphore, l’insouciance d’une vie en bonne santé. Un des participants se retrouve soudain tétanisé lorsqu’il se rend compte que le cancer de la prostate touche 57 000 hommes par an.

En 2020, c’est le retour des boules… Dans ce second spot bouliste, Bruno Solo se retrouve avec ses amis – pour un bowling cette fois. L’idée est de rappeler qu’il est préférable de parler de sujets parfois encore tabous… plutôt que « de passer pour des glands ! »

Mais la France n’a bien sûr pas le monopole des campagnes plébiscitant le second degré. Les Anglo-saxons jouent eux aussi de l’arme humoristique pour toucher un public plus large, entre réappropriation de certains codes et engagement de héros décalés peut-être plus à même de toucher un public plus jeune.

Le Canada mettait en ligne en 2016 « Hommes Garçons : Les hommes qui murmuraient aux oreilles des couilles ». Ce vrai-faux clip musical utilisait le mot ball (testicules, en anglais) à de nombreuses reprises afin de décomplexer la discussion autour de l’organe reproducteur masculin : Ballywood, zumball et balligator.

En 2018, ce n’est rien moins que Deadpool (interprété par Ryan Reynolds) qui est sollicité. Le fameux anti-héros à l’humour noir ravageur se lance dans un de ses monologues dont il a le secret (en anglais) pour inciter à l’autopalpation : « Messieurs, à quel point connaissez-vous vos poches de bonheur ? Je suis sûr que vous vous rendez en bas plus souvent que Maman ne le voudrait, mais il est temps que vous prêtiez attention à votre passe-temps préféré. Car ces sacs de haricots que vous tenez dans votre main pourraient être en train d’essayer de vous tuer… QUOI ? Ouais ! Car le cancer des testicules est la forme la plus commune de cancers pour les hommes âgés d’entre 15 et 35 ans. »

Enfants et jeunes garçons, des problématiques spécifiques

Ces spots à l’humour ciblé ne doivent pas faire oublier qu’il existe un public plus jeune lui aussi concerné, malheureusement, par le cancer. Les leucémies (cancer de la moelle osseuse) et les lymphomes (touchant les ganglions lymphatiques) sont les formes les plus fréquentes de cancers pédiatriques et représentent environ 40 % des tumeurs de l’enfant.

Selon l’Institut national du cancer (INCA), il y aurait 2500 nouveaux cas de cancers tous les ans chez les enfants de moins de 18 ans. Le cancer du garçon ou du jeune adolescent est la deuxième cause de décès chez les moins de 15 ans. Il est donc crucial de faire également de la prévention sur ce sujet… d’autant que les traitements de ce type de cancer entraînent dans la majorité des cas une infertilité à l’âge adulte.

Les progrès thérapeutiques de cette dernière décennie en oncologie ont permis d’augmenter fortement le taux de survie. Cependant, bien que très efficaces, les traitements (par chimiothérapie et/ou radiothérapie) sont délétères et ont une toxicité connue sur les testicules, menant à une stérilité à l’âge adulte.

La préservation de la fertilité du garçon prépubère, de l’adolescent ou du jeune adulte doit donc être réfléchie en amont. La prise en charge de ces jeunes publics dans le cadre des séquelles liées au traitement d’un cancer constitue des enjeux majeurs de santé publique.

Pour remédier à l’incapacité de conserver les spermatozoïdes, la préservation de tissus testiculaires (par prélèvement et congélation) pré-traitement ainsi que leur maturation (in vivo ou in vitro) lorsque le désir de paternité se fera ressentir est une solution envisageable pour permettre une restauration de leur fertilité. Un protocole qui pourrait, s’il devient fonctionnel chez l’homme, être proposé avant tout traitement nocif pour les organes reproducteurs (gonadotoxiques), permettant ainsi de traverser les épreuves des traitements sans devoir renoncer à une future paternité.

Les techniques de congélation de tissus testiculaires sont à ce jour bien définies chez l’homme. Cependant, en ce qui concerne la restauration de la fertilité, les mécanismes sont encore en cours de développement par la recherche. La culture organotypique (culture artificielle d’organe en trois dimensions) est devenue depuis quelques années une méthode standard et fiable dans le domaine de la spermatogenèse in vitro chez la souris et pourrait être transférable à l’homme dans les prochaines décennies, laissant un espoir aux jeunes garçons dont les tissus testiculaires ont été congelés.The Conversation

Auteur

Ludovic Dumont, Ingénieur de Recherche en Biologie de la Reproduction, université de Rouen Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Date de publication : 24/11/21