Les filles et les jeunes de milieu défavorisé sont moins nombreux à suivre des spécialités en maths au lycée. Ces inégalités se sont creusées avec la réforme du bac mais ont des racines anciennes.
C’est une discipline qui occupe une place particulière dans le système scolaire français et s’inscrit dans les apprentissages dits fondamentaux. Pourtant, « l’image actuelle des mathématiques est préoccupante », relevaient Cédric Villani, mathématicien et député, et Charles Torossian, inspecteur de l’Éducation nationale dans leur rapport sur l’enseignement des maths rendu en 2018.
Et la réforme du bac mise en place à la rentrée 2019 n’a visiblement pas amélioré la situation. Bon nombre d’associations mathématiques et même de dirigeants d’entreprises en ont dénoncé les conséquences néfastes, voire catastrophiques, sur la place des mathématiques dans notre société, notamment pour assurer le vivier des métiers de demain. Une place qui était au cœur des Assises des mathématiques organisées du 14 au 16 novembre 2022.
Avec la fin des filières au lycée et le nouveau jeu d’enseignements de spécialité et d’options facultatives, l’engagement des élèves dans le domaine a décru. Avant la réforme environ 50 000 élèves, soit 13 %, ne faisaient plus de maths à partir de la classe de Première, contre 170 000, soit 36 %, après la réforme. Des études ont montré que depuis la réforme, les filles sont moins nombreuses que les garçons à faire le choix de la spécialité Maths en première et de l’option « maths expertes » en Terminale.
Les données de la DEPP témoignent, sans ambiguïté, de la baisse effective du nombre de filles bénéficiant d’un enseignement de mathématiques à partir de la Première. Elles sont 55 % à faire le choix de la spécialité Maths en Première, contre 75 % des garçons, elles sont encore moins nombreuses à maintenir ce choix en Terminale (26 % contre 52 % pour les garçons).
Les élèves issus de milieux défavorisés sont également sous-représentés dans les enseignements de la spécialité Maths. Si l’on compare le choix de l’option Maths expertes en Terminale, on peut noter que 28 % des garçons issus de milieux sociaux très favorisés choisissent cette option, contre seulement 14 % des garçons issus de milieux sociaux défavorisés.
Même si ces constats ne sont hélas pas nouveaux, ils se sont accentués avec la réforme, ce qui n’est pas admissible au regard des inégalités sociales et sociétales en jeu. Mais que se passe-t-il donc avec cette discipline ? Pourquoi suscite-t-elle autant de réactions, aussi bien négatives que positives ?
Mythes et représentations
La vision que l’on a, en France, des mathématiques est dominée par des croyances et des représentations fantasmées de cette discipline. Même si de nombreuses personnes ont dénoncé l’existence d’une « bosse des maths », études scientifiques à l’appui, cette croyance persiste dans notre société et contribue, encore aujourd’hui, à véhiculer une vision des mathématiques très élitiste et inégalitaire. Il y aurait les heureux élus et ceux, majoritairement celles, qui n’auraient pas eu la chance de posséder ce don et ainsi de pouvoir s’épanouir et réussir dans cette discipline.
Mais pourquoi donc cette vision des mathématiques persiste-t-elle autant ? Si on vous demande de penser à une personne qui, à vos yeux, incarne les mathématiques, vous penserez soit à des mathématiciens connus comme Cédric Villani ou Alexandre Grothendieck, soit à un ancien camarade qui avait des moyennes en mathématiques qui faisaient l’admiration ou le désespoir de toutes les classes dans lequel il se trouvait. Ces personnes sont, presque toujours, des personnes dans une situation un peu exceptionnelle, auxquelles vous ne pouvez vous identifier facilement, et généralement de sexe masculin.
C’est là une des premières causes de persistance du mythe, la difficulté à imaginer qu’un mathématicien ou une mathématicienne puisse être une personne banale, qui n’aurait ni araignée en broche ni grotte à habiter. On a, en effet, souvent l’image caricaturale d’un personnage avec lunettes et cheveux hirsutes, éloigné des contingences matérielles et de son temps. C’est une image totalement fausse et dépassée, qui persistera tant que les médias, les livres et les manuels scolaires la véhiculeront inconsciemment ou par négligence.
C’est pourquoi il est impératif d’agir au niveau de ces représentations empreintes de stéréotypes, de les contrer avec des modèles plus réalistes et plus diversifiés – notamment au niveau du genre – auxquels tout le monde peut s’identifier, quel que soit son sexe, sa situation sociale ou scolaire.
L’histoire de la discipline
Une autre piste peut être avancée pour expliquer la persistance de la vision élitiste que l’on a des mathématiques. C’est celle de son histoire dans le système scolaire français. Il convient en effet de rappeler qu’avant même qu’elle ne devienne LA discipline de sélection telle qu’on la connait aujourd’hui, cette discipline était réservée aux hommes et particulièrement à ceux issus de milieux que l’on qualifierait aujourd’hui de favorisés.
Ce n’est qu’à partir de 1880 que les femmes ont pu bénéficier d’un enseignement secondaire, et encore, avec un programme mathématique allégé par rapport à celui des hommes, les programmes scolaires n’ayant été unifiés qu’en 1924. En effet, on considérait jusque-là que les enseignements dispensés aux femmes devaient principalement contribuer à les former à devenir de bonnes épouses et mères de famille et qu’elles pouvaient se dispenser d’étudier des disciplines trop complexes, telles que les mathématiques.
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Ainsi, d’une mixité tardive décrétée en 1975, précédée par un siècle presque d’enseignement différencié aussi bien par le sexe des enseignants (voir ci-dessous) que par les programmes, allégés pour les filles, subsiste certainement encore aujourd’hui la croyance que les garçons sont davantage prédisposés que les filles pour certaines matières, dont les mathématiques.
De même que la massification scolaire, précédée par des siècles d’enseignement secondaire réservé à une élite, s’est faite sans vraiment accompagner les enseignants à s’adresser à tous les élèves comme le montre très bien le documentaire « Histoire d’une nation : l’école de 1945 à nos jours » diffusé sur France 2 en octobre 2022.
L’enseignement des maths
La façon dont les mathématiques sont enseignées et les programmes du lycée peuvent également être des pistes pour comprendre la persistance du mythe dénoncé. Rappelons que les concours de recrutement des professeurs n’ont été fusionnés qu’à partir de 1975. Auparavant, il y avait des concours distincts selon les sexes : les hommes pouvaient enseigner aussi bien aux garçons qu’aux filles, alors que les femmes ne pouvaient enseigner qu’aux filles.
À partir de la réforme du baccalauréat général de 1965, dans les établissements du secondaire les classes de sections scientifiques et plus particulièrement celles à examens sont généralement réservées aux professeurs agrégés, instaurant de facto une hiérarchie entre les enseignants selon leur statut et leur niveau d’enseignement, mais aussi une hiérarchie entre les élèves, laissant supposer qu’aux élites des sections scientifiques sont réservés les « meilleurs » professeurs.
Interrogeant des élèves pour comprendre leurs choix de spécialité en Première et leur rapport aux mathématiques, j’ai pu constater l’influence parfois néfaste que pouvait avoir le positionnement d’un professeur sur l’engagement d’élèves dans leurs apprentissages mathématiques. Plusieurs élèves de Seconde ont rapporté le fait que « les profs ne travaillent que pour ceux qui vont prendre la spécialité Maths en Première et ne se préoccupent pas des autres ».
Ce constat, bien que très relatif mais néanmoins peu reluisant, peut s’expliquer par la nature des nouveaux programmes attachés à la réforme qui obligent les professeurs à adopter un rythme d’enseignement davantage adapté aux élèves se destinant à poursuivre leurs études en mathématiques qu’à ceux qui ne font pas ce choix.
Ainsi, en agissant au niveau des représentations des mathématiques, en contrant la vision élitiste de cette discipline en permettant à tous les élèves de s’y intéresser, pour certains à un haut niveau, les mathématiques pourraient ne plus être un problème et même pourquoi pas, devenir une solution à l’échec scolaire.
Auteur
Nathalie Sayac, Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen – Le Havre, Université de Rouen Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Dernière mise à jour : 21/06/23
Date de publication : 18/11/22