C’est un sujet de société dont la France se serait bien passée et qui se fait malheureusement de plus en plus présent : il y a trop peu de professionnels médicaux pour assurer le suivi des 68 millions de Français. Et les dentistes ne font pas exception. À titre d’exemple, dans l’Eure, il y a 35,7 dentistes pour 100 000 habitants. Depuis la rentrée 2022, l’UFR Santé de l’université de Rouen Normandie s’est dotée d’un nouveau département d’odontologie, avec pour objectif principal de former ses étudiants pour qu’une majorité d’entre eux exercent, dans le futur, sur le territoire normand. Un peu moins d’un an après l’ouverture de cette formation, nous faisons le point avec deux acteurs majeurs de la création de ce nouveau département de l’URN.
« Ce qu’il se passe dans l’Eure, c’est vraiment problématique. Avec l’Orne c’est un des départements qui a le moins de dentistes en France », analyse Anne-Charlotte Bas, maîtresse de conférences – praticienne hospitalière et directrice du département d’odontologie de l’université de Rouen Normandie. Benoît Veber, directeur de l’UFR Santé fait le même constat et explique ce qui est, selon lui, l’une des raisons de ce manque de dentistes en Normandie. « Jusqu’à l’année 2021, les étudiants normands qui voulaient se former dans cette spécialité dentaire partaient à la fin de la première année en direction de Lille, Paris ou Reims. Le taux de retours était faible. Tout simplement parce que lorsqu’on fait ses études entre 20 et 25 ans, la vie avance et souvent on s’installe dans la région qui nous a formé ». La première étape de ce projet a été de permettre à d’anciens étudiants rouennais de 5e et 6e année de revenir en stage à Rouen et au Havre. « Certains Normands qui revenaient en fin d’études avaient tendance à rester et à s’installer. Mais le nombre était insuffisant et il fallait passer à une autre étape », continue Benoît Veber.
L’étape suivante a été la création d’un département d’odontologie au sein de l’UFR Santé de l’URN. Cette démarche a été portée par le Gouvernement et annoncée par le Premier ministre de l’époque Jean Castex, en décembre 2021, avec l’ouverture de huit nouveaux sites universitaires d’odontologie. « Je crois que les conseillers ministériels avaient vraiment pris conscience de l’urgence à restaurer une démographie médicale. Il fallait sortir de l’impasse », poursuit le doyen de l’UFR Santé. Le compte-à-rebours était lancé. L’URN avait son département d’odontologie mais un énorme défi se présentait : être prêt, en moins de huit mois, pour la rentrée universitaire de septembre 2022.
Créer des salles et préparer des programmes
Se préparer en si peu de temps a été un immense challenge. À la rentrée, quinze étudiants arrivaient pour composer la première promotion d’odontologie de l’Université. « Pour la première année, nous avons volontairement voulu une petite promotion, avec quinze étudiants. C’est plus facile à gérer et cela permet une montée en charge pour les années à venir avec un objectif de promotion cible à 51 étudiants par année », explique Benoît Veber. La première étape de cette préparation a été de recruter Anne-Charlotte Bas, maîtresse de conférences et praticienne hospitalière à l’université de Paris Cité afin qu’elle prenne la tête du nouveau département. « Sa vision est très précieuse car elle accompagne cette formation avec une vision moderne » continue le directeur de l’UFR. La nouvelle directrice du département d’odontologie a vécu une première année bien chargée mais elle est heureuse de ce qui a été accompli. « « Le premier cycle est composé de l’année de PASS-LAS et des deux années qui suivent et qui sont spécifiques à l’odontologie. Il y avait un vrai défi immobilier quand on préparait ce premier cycle. On a de très belles salles de simulation, avec notamment la salle des fantômes, des semi-bonhommes qui se penchent, qu’on bouge, avec des fausses dents qui permettent de simuler la réalité. Cela coûte cher, il fallait trouver de la place, des lieux de conditionnement des matériaux, se projeter sur un nombre de fantômes pour les années à venir. Il y avait de très grosses contraintes et il y a eu un énorme travail de fait au sein de l’UFR pour résoudre tous ces soucis matériels. Au final, nous avons un super équipement ». Benoît Veber surenchérit : « Nous avons bénéficié d’un soutien financier tout à fait remarquable et à part quasi-égale entre la région Normandie et la métropole de Rouen pour financer les travaux nécessaires afin de créer les structures d’apprentissage que sont la salle des fantômes, la salle des prothèses et la salle des plâtres. La mise à l’étrier s’est faite par les collectivités territoriales, mais l’enseignement supérieur va également prendre part au financement de la formation ».
Pendant que les salles étaient en construction, il a fallu concevoir les programmes. Un autre défi pour Anne-Charlotte Bas et l’UFR Santé. « Il fallait répondre à des normes ministérielles et européennes, mais aussi faire un programme avec les enseignants disponibles, pour la taille de la promotion », poursuit l’enseignante. « L’une des caractéristiques de ces études c’est qu’il y a énormément de travaux pratiques car c’est un métier manuel. C’est d’ailleurs ce qui est très beau. C’est un métier avec beaucoup de facettes. Il y a l’empathie, la prise en charge de l’autre, la réflexion sur les traitements, mais aussi cet acte technique, la réalisation de quelque chose de bien et beau. Il y a des étudiants manuels et d’autres qui ne le sont pas mais qui vont apprendre à le devenir ».
À côté de cela, il y a également beaucoup de cours théoriques, notamment de médecine, de pharmacologie et de biologie assurés par des professeurs issus des autres départements de l’UFR Santé. Ce travail commun est d’ailleurs reconnu comme l’une des forces de cette formation en odontologie. « Il faut être pragmatique et profiter du fait qu’on soit tous ensemble sur ce campus pour faire de l’interprofessionnel. En 2023, travailler dans son coin ce n’est pas raisonnable », explique Anne-Charlotte Bas. Benoît Veber appuie son propos : « Le fait que l’odontologie fasse partie de l’UFR Santé a du sens. Les étudiants partagent des cours en commun pendant le premier cycle. Ce sont les mêmes pour les futurs médecins, les futurs pharmaciens ou les futurs dentistes. L’infrastructure technique de l’UFR permet également d’avancer rapidement, en s’appuyant sur le personnel administratif déjà existant ».
Quel avenir pour cette formation ?
Si la première année de ce département a été un beau succès, Anne-Charlotte Bas comme Benoît Veber insistent sur l’importance de maintenir ce cap et de continuer d’évoluer pour que cette formation en odontologie continue à se développer. « J’aimerais que nous ayons au moins un enseignant titulaire hospitalo-universitaire par discipline et il y en a neuf », indique le directeur de l’UFR Santé. « Il faut faire marcher les réseaux car pour l’instant il n’y a malheureusement pas une répartition nationale des enseignants. La logique serait que les facultés historiques s’organisent pour repartir les forces dans les six nouvelles facultés, mais ce n’est pas le cas pour le moment. Nous espérons attirer d’autre enseignants titulaires grâce à notre réseau, mais aussi grâce à nos infrastructures. Nos salles sont entièrement neuves, modernes et, on l’imagine, attractives ». Mais pour attirer des enseignants titulaires supplémentaires, un des autres leviers est de créer un centre de soins dentaire public ultramoderne comportant des fauteuils dentaires hospitaliers supplémentaires. Pour Anne-Charlotte Bas, c’est un enjeu essentiel pour le futur de l’odontologie en Normandie. « Le second cycle nécessite un externat très exigeant. En effet, il comprend une pratique clinique hospitalière qui fait que les étudiants gèrent leurs propres patients, de manière encadrée évidemment. Et pour cela, nous avons besoin de fauteuils dentaires supplémentaires, au sein du CHU de Rouen ou de centres hospitaliers partenaires ». Ces fauteuils supplémentaires pourraient permettre d’attirer de nouveaux enseignants praticiens hospitaliers mais également des étudiants de 3e cycle. « Celui-ci peut être court ou long », poursuit le maîtresse de conférences. « Un cycle court c’est avec des externes relativement autonomes, ils ont un jour de cours par semaine, deux jours et demi à l’hôpital et le reste de la semaine en cabinet libéral. Ils sont évidemment encadrés, mais par exemple, ils ont l’autorisation de prescrire. Le cycle long correspond à l’internat. Comme en médecine, il faut passer une épreuve classante nationale et à l’issu du classement, on choisit sa spécialité et son lieu d’exercice. Il y a trois filières : orthodontie, chirurgie orale et médecine buccodentaire ». Avoir des fauteuils en plus pour attirer les étudiants serait donc un énorme avantage pour l’avenir de ce département.
De plus, il faut se rendre à l’évidence, mais si la demande de dentistes est énorme en Normandie, la demande des étudiants de suivre une formation en odontologie à Rouen l’est aussi. « Chaque année nous avions de nombreuses demandes d’étudiants pour l’odontologie que nous envoyions à Lille, Paris et Reims », poursuit Benoît Veber. « Cette année, nos étudiants de première année qui avaient les premiers choix ont décidé de rester à Rouen. Cela confirme que les jeunes Rouennais avaient envie de se former sur leur territoire. C’est très encourageant pour le futur, en permettant d’espérer une installation professionnelle en Normandie. Nous sommes donc optimistes sur le fait qu’il y aura peu de fuite ».
Le département d’odontologie de l’université de Rouen Normandie est tout jeune et l’optimisme est de mise. « Nous sommes très contents. Nous avons du bon matériel, des professeurs compétents, et des étudiants qui s’avèrent être bons aussi », conclut Anne-Charlotte Bas. « Nous ne pouvons pas promettre que tous les étudiants qui vont sortir de cette promotion vont rester sur le territoire normand à la fin de leurs études. Mais ça en augmente évidemment la probabilité ».
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Dernière mise à jour : 03/07/23
Date de publication : 28/06/23