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L’impression 3D au service de la chirurgie

Il y a des rencontres qui fonctionnent à la perfection, deux personnes qui se retrouvent autour d’un point commun, d’une passion et qui décident d’avancer ensemble. C’est ce qui est arrivé à Alexis Lubet et Laurent Delbreilh. Le premier est chirurgien pédiatre au CHU de Rouen, le deuxième est maître de conférences HDR au sein du laboratoire GPM (Groupe de physique des matériaux) de l’université de Rouen Normandie. Ce qui les a rapprochés : l’impression 3D. C’est ainsi que Laurent Delbreilh est devenu le directeur de thèse d’Alexis Lubet et qu’ensemble, ils ont lancé un grand sujet de recherche et de doctorat : l’impression 3D au service de la pédagogie chirurgicale. Nous les avons rencontrés afin qu’ils évoquent ce passionnant projet précurseur d’utilité publique.

Alexis Lubet a passé sa thèse de médecine en 2022 et est devenu chirurgien pédiatrique au sein du CHU de Rouen. Parallèlement à son travail, le médecin a donné libre court à sa passion, l’impression 3D, sur laquelle il passe des heures par semaine depuis plus de quatre ans. Une passion et des compétences qu’il a développées en autodidacte. « L’impression 3D c’est un plaisir, un loisir. Dès l’instant où je suis tombé dedans, c’est devenu une passion. C’est cela qui m’alimente et j’en fais une énergie positive. Être uniquement dans la médecine clinique, c’est parfois dur mentalement. Travailler sur l’impression 3D, dans la physique des matériaux est une sorte de bulle d’air, quelque chose de nécessaire quand on travaille en hôpital », explique Alexis Lubet. De son côté, Laurent Delbreilh est un spécialiste de la physique des polymères qui travaille au sein du laboratoire GPM et à l’UFR Sciences et techniques de l’université de Rouen Normandie. Se qualifiant de curieux et « un peu geek », il s’est orienté vers l’impression 3D afin de proposer des solutions pour l’industrie. Au fil des années, ce sujet est devenu une partie intégrante de ses recherches. Et c’est tout naturellement qu’Alexis Lubet et Laurent Delbreilh se sont rencontrés et ont décidé de monter un projet de doctorat sur le sujet, le second dirigeant la thèse du premier.

La genèse du projet

Une rencontre qui s’est faite tout naturellement ? Pas complètement ! L’un comme l’autre insistent sur le rôle prépondérant de la professeure Agnès Liard-Zmuda, cheffe du service de chirurgie infantile du CHU de Rouen et codirectrice de cette thèse. « Alexis souhaitait démarrer une thèse sur l’impression 3D en plus de son travail de chirurgien », explique Laurent Delbreilh. « La professeure Agnès Liard-Zmuda a trouvé que c’était une excellente idée. Mais, comme il fallait de l’aide du côté de la physique des matériaux, ils se sont tournés vers le laboratoire GPM ». C’est à partir de cet instant que ces deux passionnés d’impression 3D ont commencé à travailler ensemble. Leur premier objectif : créer des outils imprimés en 3D pour l’enseignement de la chirurgie. « La première question qui nous a attiré, c’est la conception de ce qu’on appelle un laparo trainer », poursuit le maître de conférences. « C’est un ensemble d’outils qui servent pour la cœlioscopie, une technique spécifique d’intervention chirurgicale sur la cavité abdominale. En France, aujourd’hui, il y a une obligation de former tous les élèves chirurgiens à la cœlioscopie. Mais ces kits pour s’entraîner coûtent très chers, pour les étudiants comme pour les universités ». En effet, un kit de base coûte entre 1000 et 2000 euros, auxquels il faut ajouter des pinces qui elles-mêmes coûtent entre 200 et 1000 euros.

« Quand je faisais mes études de médecine, je n’avais pas les moyens d’avoir mon propre kit de cœlioscopie », explique Alexis Lubet. « Comme j’avais une imprimante 3D chez moi, je me suis dit que c’était l’occasion de créer ma propre boîte d’entraînement à la chirurgie ». Les deux hommes s’attaquent donc à la conception de ce kit de chirurgie pédiatrique qui se compose du laparo trainer et des pinces qui vont avec. « Tout doit être imprimé en 3D », continue le chirurgien. « Comme cela, toute personne qui a une imprimante 3D chez lui, peut imprimer ses pinces directement, sans ajouter aucun élément supplémentaire. Nous voulions fournir une solution clé en main pour les étudiants, avec une imprimante basique et de la résine commerciale. Le but est d’avoir une pince à moins de deux euros, et avec l’ensemble du kit à moins de 10 euros ». Une énorme différence quand on connaît les prix dans le commerce. « L’impression 3D est un outil accessible d’un point de vue financier, très open source », appuie Laurent Delbreilh. « C’est aussi simple qu’un jouet d’enfant. Mais pour rendre simple l’histoire, il faut un très gros travail en amont. C’est l’objectif de la technologie et de la science ».

Des mois d’essais, de tâtonnements et de travail

Du travail en amont, il y en a eu. Beaucoup. Alexis Lubet se rappelle des prémisses du projet : « Nous avons eu beaucoup d’échecs au début. De nombreux ratés, de nombreuses difficultés ». D’ailleurs, quand on entre dans le bureau du doctorant au GPM, on retrouve une multitude de prototypes défectueux de pinces en résine beige. Certaines sont cassées, d’autres ont deux éléments collés entre eux. « La création de ces pinces demande une extrême précision, c’est hyper pointu. C’est pour cela que nous avons longtemps tâtonné », précise Laurent Delbreilh.

Au fur et à mesure de leur travail, les deux hommes se sont rapprochés de plusieurs centaines d’étudiants de l’UFR Santé afin qu’ils testent le matériel. Ils ont travaillé sur des exercices normés et ont ensuite pu faire de nombreux retours quant à leurs ressentis. « Les premiers essais n’ont pas forcément été hyper concluants, notamment au niveau de la prise en main et de la casse », poursuit le maître de conférences. « Mais c’est normal, c’est un travail de thèse. Avec ces tests nous avons pu faire évoluer les matériaux, optimiser les pièces techniques. Nous avions un compromis scientifique à trouver, en lien avec les caractéristiques mécaniques : réduire le nombre de pièces, avoir quelque chose de rigide mais qui ne casse pas ». Pour cette étape, ce sont cette fois des étudiants des licences et masters en sciences des matériaux qui ont été impliqués. Laurent Delbreilh est content d’avoir pu proposer ce projet d’enseignements à ses étudiants. « C’est un projet qui les motive, qui crée une belle émulation. Ils voient ce qui se fait au niveau applicatif et sont même allés au bloc chirurgical pour voir comment cela se passait ».

Le spécialiste de la physique des matériaux sourit en citant Lao-Tseu, le philosophe chinois ayant vécu au 6e siècle avant J.C. « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours. » Pourtant, c’est bien l’esprit de l’impression 3D, c’est cela l’objectif de leurs recherches. « Avec cette technologie, nous permettons la création. Plutôt que de produire quelque chose de façon immense et de le stocker dans des hangars, nous donnons le plan et ensuite tout le monde, sur toute la planète, peut faire cela avec sa petite imprimante ». Avec cette logique, les étudiants pourront, dans le futur, imprimer leurs propres pinces et leur propre laparo trainer. Ces outils pourront également être fournis à des universités de pays qui n’ont pas forcément les moyens d’acheter ceux du commerce.

Une thèse ambitieuse qui va encore plus loin

Alexis Lubet ne veut pas uniquement travailler sur les pinces et les laparo trainers. Maintenant que cette partie de sa thèse de doctorat est bien avancée et qu’il est satisfait du travail produit, il veut s’attaquer à un autre angle, toujours autour de l’impression 3D. « Nous voulons aider la chirurgie avec cette technologie car les sollicitations arrivent de toutes parts », précise-t-il. Cette deuxième étape consiste à travailler autour des radiographies de fractures afin de sortir un prototype capable d’aider le chirurgien. Pour les deux hommes, le prototypage est bien plus efficace que l’imagerie 3D comme le démontre sa forte utilisation dans l’industrie. Laurent Delbreilh rentre dans les détails de ce projet : « Prenons l’exemple de la fracture du coude de l’enfant qui est très dure à opérer. Elle n’est jamais exactement la même et il faut une broche pour consolider l’os. Ce que nous proposons, c’est qu’après une radio en imagerie 3D, nous l’imprimions en 3D. Ainsi, le chirurgien peut regarder à l’échelle 1/1 et voir comment il va pouvoir ensuite travailler sur le vrai coude ». Le chirurgien pourra étudier le chemin qu’il doit emprunter, l’intérêt de percer à tel ou tel endroit, comment disposer la broche pour consolider la fracture. C’est également une technique qui pourra servir au patient et aux parents. « Cela peut les aider à comprendre une pathologie », intervient Alexis Lubet. « Par exemple sur les coudes d’enfants, il y a plein de spécificité anatomique et notamment une membrane osseuse qui s’appelle le périoste qui est dure à expliquer. Grâce au modèle 3D, c’est beaucoup plus facile à de faire comprendre l’intervention à venir ».

Techniquement, comment travaillent les deux chercheurs sur ce sujet ? « Il faut qu’on crée un os qui ressemble à un os », reprend Laurent Delbreilh. « L’important ce n’est pas tellement d’un point de vue visuel, mais d’un point de vue mécanique. Il y a une structure externe qui est rigide et qui s’appelle la corticale. À l’intérieur c’est la partie médullaire de l’os, la moelle osseuse, plus molle. Notre travail se fait sur la consistance et la matière de ces os pour avoir les choses le plus proches possibles de la réalité. L’idée est de voir comment se comporte mécaniquement un os quand on perce dedans. Nous en avons créé un certain nombre et les avons mis à disposition de chirurgiens pour qu’ils les testent. Leur perception nous a permis de faire évoluer nos travaux. Par exemple, les nids d’abeille pour la zone médullaire n’étaient pas optimaux. Par conséquent, nous travaillons sur des mousses de polymères ».

« Nous travaillons également sur l’épaisseur », surenchérit Alexis Lubet. « Nous avons fait une étude au CHU avec deux chirurgiens et un radiologue. Nous avons analysé trente scanners pour mesurer l’épaisseur des boites crâniennes de 4 à 10 ans. Cela a permis de faire un modèle statistique et de donner l’épaisseur en fonction de l’âge. Nous essayons d’aller le plus loin possible en termes de réalisme, avec un modèle très fiable ». La prochaine étape de ce projet est de travailler sur la création de nerfs, de ligaments et de peau. « Nous ne sommes pas encore dans le 5e élément, mais on s’en rapproche », rigole Laurent Delbreilh en faisant référence à la scène où un corps est créé entièrement à partir d’une cellule.

Un enjeu régional et national

Cette thèse, notamment financée par la Société française de chirurgie pédiatrique, a un enjeu national majeur. D’ailleurs, si au niveau international les travaux sur l’impression 3D en santé existent déjà, au niveau de la pédiatrie, Alexis Lubet et Laurent Delbreilh sont des précurseurs. L’ambition de ce programme national est de pouvoir fournir les kits d’entraînement à la chirurgie pédiatrique à tous les étudiants de première année. Pour le jeune chirurien, c’est essentiel : « Plus on s’entraine à opérer, plus on sera prêt au moment de la première opération ». « Il faut prendre conscience que l’impression 3D n’est pas qu’un gadget pour faire un Obi Wan Kenobi. C’est une technique qui peut réellement aider la science », insiste Laurent Delbreilh. Son doctorant appuie ses propos : « Il est difficile de communiquer et de rendre sérieux l’impression 3D. Les collègues voient tout de suite les babioles qui traînent sur un bureau. Ils ne voient pas tout le travail qu’il y a derrière et tout ce que ça peut apporter au niveau scientifique ».

Toutefois, à Rouen, que ce soit à l’Université ou au CHU, on a bien pris conscience de l’importance de cette avancée technologique. Alexis Lubet reçoit de plus en plus de sollicitations pour créer des pièces en résine afin d’aider à l’enseignement. « C’est dur de répondre à toutes les demandes », explique le chirurgien. « Nous travaillons sur de très beaux projets, comme des prothèses de genoux de rats avec les orthopédistes ou des dents et des mandibules pour le département d’odontologie ». D’ailleurs, en raison de toutes ces sollicitations, l’idée serait de créer un centre d’impression 3D au sein de l’URN. « Il y a un vrai un travail sur l’impression 3D dans les hôpitaux et nous aimerions que chez nous cela se fasse au sein de l’URN, pour ne pas externaliser », précise Laurent Delbreilh.

Le kit de chirurgie pédiatrique a déjà été présenté à plusieurs reprises, à des professionnels de la médecine, mais aussi dans le cadre de l’alliance INGENIUM. « À chaque fois qu’on le présente, il y a un peu d’émerveillement et de superbes retours », insiste Laurent Delbreilh. « Ils voient une application directe qui va de la nécessité en passant par la science. C’est l’exemple par excellence de la démarche scientifique : une question applicative, une démarche scientifico-technologique, une réponse que les gens ont entre les mains ». Le physicien remercie son doctorant car cette thèse lui fait découvrir un monde qu’il ne connaissait pas. « C’est génial de travailler dans le monde de la santé. On voit l’utilité rapide des connaissances, il y a une application qui est directe. Pour la fierté, c’est super. On fait quelque chose qui est directement utile ». Alexis Lubet, malgré son activité de chirurgien compte bien continuer sur ce chemin de l’impression 3D. « L’impression 3D, il y a une vraie philosophie derrière. Tu manipules, tu joues », explique-t-il. « Pour rendre simple l’histoire, il faut un très gros travail en amont. C’est l’objectif de la technologie et de la science », conclut Laurent Delbreilh.

Alexis Lubet possède également un compte Instagram @lechirped sur lequel il évoque à la fois la chirurgie pédiatrique et l’impression 3D grâce à de nombreuses vidéos.

Dernière mise à jour : 11/07/24

Date de publication : 10/07/24