À l’université de Rouen Normandie, il y a de très nombreux microscopes. Il y a les classiques microscopes optiques, ceux que nous avons tous connus pendant notre scolarité. Il y a les microscopes électroniques à transmission. Et il y a les microscopes électroniques à balayage. C’est ce type de microscopes qui est notamment utilisé par le laboratoire M2C (Morphodynamique continentale et côtière) pour étudier une multitude de micro-organismes prélevés dans la Seine. C’est aussi ce type de microscopes qui a été utilisé par l’artiste et photographe Claire Delfino pour son exposition Êtres à la dérive qui se dévoile devant le campus Pasteur le temps de l’Armada.
Nous l’avons rencontrée pour qu’elle nous parle de l’utilisation du microscope électrique, de sa manière de travailler et de la raison pour laquelle elle a choisi de photographier des micro-organismes.
L’exposition Êtres à la dérive de Claire Delfino invite les promeneurs à contempler les végétaux microscopiques d’une goutte d’eau. Le travail de la photographe mêle la prise de vue de microalgues maritimes et des microalgues fluviales d’eau douce : le phytoplancton.
Quatre questions à Claire Delfino
- Votre travail photographique porte principalement sur l’humain, les gens dans leur quotidien, les portraits. Comment êtes-vous arrivée à photographier les phytoplanctons ?
Je réalisais de temps à autres des Gyotaku (ichtyogramme) japonais qui consiste à reproduire des empreintes de poissons sur du papier. À travers cette pratique assez rare, j’ai rencontré un de ses adeptes, François Aurat, un marin d’expédition scientifique autour du monde, qui m’a introduite au sein du cercle des scientifiques spécialistes du plancton. Nous étions en 2019 et j’ai alors commencé à travailler sur ces micro-organismes en utilisant des procédés anciens de la photographie comme le cyanotype.
- Techniquement, comment avez-vous pu photographier ces organismes marins et fluviaux ? Avez-vous collaboré avec des chercheurs ?
Il m’a fallu travailler au sein du laboratoire de biologie marine du CNRS à Villefranche-sur-Mer où Sébastien Schaub m’a initié au prélèvement du phytoplancton et à la microscopie électronique qui seule permet d’appréhender la structure de ces organismes, sans pouvoir toutefois restituer la matière organique et leur couleur. La collaboration avec les spécialistes de biologie marine (Sophie Marro, Fabien Lombard) s’est avérée indispensable pour identifier les différentes espèces. Pour les phytoplanctons fluviaux, j’ai pu effectuer mes recherches au sein du Laboratoire CNRS « Evolution et diversité biologique” de Toulouse où Loïc Tudesque, spécialiste des diatomées, m’a apporté son précieux soutien.
- Comment aujourd’hui dans le cadre de l’Armada de Rouen, votre projet articule-t-il Art et Science, deux domaines fondamentaux de notre Université ?
La photographie se situe dès l’origine au croisement de l’art et de la science. « Véritable rétine du savant », selon l’expression de l’astronome Jules Janssen, elle mobilise des techniques optiques et des procédés physico-chimiques qui peuvent lui conférer une apparence d’objectivité. Parallèlement, la photographie est rapidement devenue un art, en se libérant de l’imitation du réel. Ici, j’ai souhaité revenir aux origines même de la photographie lorsque Anna Atkins, entre 1843 et 1853, réalise le premier ouvrage illustré de photographie. Elle a l’idée de poser des algues séchées sur du papier sensibilisé, mis sous verre et exposé à la lumière du jour, qui fait progressivement apparaître une image. Le lavage à l’eau claire révèle enfin une couleur bleu de Prusse. J’ai adopté ce procédé pour créer des cyanotypes à partir de mes images électroniques en noir et blanc. Alors, de manière régressive, une image issue de la haute technologie se transforme en un procédé monochrome ancien.
- L’université de Rouen Normandie est particulièrement engagée dans les transitions socio-écologiques, au cœur de sa stratégie. En quoi votre travail Êtres à la dérive s’inscrit dans cette thématique, en lien notamment avec les enjeux environnementaux ?
Ce projet entend rendre visible les phytoplanctons – imperceptibles à l’œil nu – qui représentent plus de 80% de la biomasse des fleuves et des mers. Nous respirons grâce à cette forêt invisible d’algues dont nous soupçonnons à peine l’existence. Pourtant, elle est responsable de la moitié de la production d’oxygène sur la planète. Ces cyanotypes mettent donc en lumière de manière singulière le vivant microscopique à l’heure de la crise écologique planétaire.
Deux questions à Julie Gonand, ingénieure d'études au laboratoire M2C
- Pour son exposition Êtres à la dérive, l’artiste Claire Delfino utilise un microscope électronique. Comment est utilisé ce type d’outil par les chercheuses et les chercheurs ? À quoi sert-il ?
Il y a deux types de microscopie électronique : ceux à transmission (MET) et ceux à balayage (MEB). Dans les deux cas, c’est un faisceau d’électrons qui va permette de faire l’image suite à l’interaction entre électron et matière. À titre d’exemple, dans un microscope classique c’est la lumière blanche qui le permet. Par ailleurs, les préparations d’échantillons diffèrent également et nous n’observons pas la même chose.
Concernant le microscope électronique à balayage, nous allons observer la surface de l’échantillon. Celui-ci doit être sec et conducteur. S’il ne l’est pas naturellement, nous allons venir déposer une fine couche de carbone ou de palladium pour le rendre conducteur : cela s’appelle la métallisation. Une fois que l’échantillon est métallisé , on le met dans le MEB. Nous allons venir chauffer un filament de tungstène ou une pointe d’hexaborure de lanthane pour qu’il produise un faisceau d’électrons dits primaires. Ce faisceau d’électrons primaires va traverser une colonne remplie de diaphragmes et de lentilles pour focaliser le faisceau sur l’échantillon. Il va y avoir une interaction électron/matière et une réémission d’électrons que nous allons appeler électrons secondaires. Ces électrons secondaires vont être captés par des détecteurs et donner une image en noir et blanc de la surface de l’échantillon.
- Plus spécifiquement dans la Seine et dans l’estuaire de la Seine, dans le cadre des travaux de recherche du laboratoire M2C, que vous sert à observer le microscope à balayage électronique ?
Nous prélevons l’eau de la Seine à différents endroits et différentes profondeurs. Ensuite nous filtrons une quantité définie d’eau (250ml) qui contient de la matière en suspension. Sur le filtre nous récupérons cette matière, en découpons un morceau de 1 centimètre carré que nous observons au MEB. Nous y retrouvons des micro-organismes (diatomées et autres), des flocs (agrégat de sédiments et de résidus de micro-organismes), des particules (quartz, craies,…). Nous comparons ensuite les résultats trouvés suivant la zone et la profondeur du prélèvement.
Dernière mise à jour : 08/06/23
Date de publication : 07/06/23