Superviseurs, collègues, patients… les jeunes médecins ont le sentiment de ne pas recevoir autant qu’ils ne donnent.
Le manque de reconnaissance, au cœur de la souffrance des internes en médecine
La crise sanitaire a exposé aux Français la situation des hôpitaux et de son personnel. Parmi celui-ci, on trouve notamment les internes en médecine, qui occupent une place prépondérante dans les Centres hospitaliers universitaires (CHU). À la fois médecins et étudiants, ces quelque 35 502 internes recensés entre 2020 et 2023 conjuguent simultanément le travail d’un praticien et d’un apprenant. Au quotidien, ils sont au cœur de tensions : sociétales, hospitalières, managériales, et personnelles.
Ce positionnement paradoxal provoque chez certains un épuisement professionnel.
En 2021, un interne a trois fois plus de risques de mettre fin à ses jours au cours des 3 à 5 ans de son internat qu’un Français du même âge.
Malheureusement, ces difficultés sont récurrentes. Une étude que nous avions menée en 2016 sur le burn-out dans un CHU de province auprès de 242 jeunes médecins montrait qu’un interne sur deux est « fragilisé » ou « brisé ».
Pour compléter ces résultats, nous avons mené une autre enquête qualitative afin d’en comprendre les raisons.
Semaine de 58 heures
À la lumière de la théorie sur le don de l’anthropologue français Marcel Mauss, nos résultats montrent que les internes n’ont pas toujours le sentiment de recevoir à la hauteur de leurs contributions. Les jeunes médecins, qui travaillent 58 heures par semaine en moyenne, offrent en effet beaucoup de leur temps à l’hôpital.
Comme l’illustrent les témoignages que nous avons recueillis, ce manque de reconnaissance qui provoque une véritable souffrance au travail provient de plusieurs sources.
- Un interne déplore d’abord le regard porté sur sa fonction par l’ensemble de la société :
« Pour la société, tu es un larbin. Tu donnes ton temps, ta vie, tu ne peux jamais te plaindre. Enfin… tu peux te plaindre, mais tout le monde s’en fout (sic). »
- Les enquêtés reprochent aussi à leurs supérieurs, auprès desquels ils apprennent leur métier, un manque d’encouragement :
« Quand on est interne, on sait quand ça se passe mal. En revanche, quand ça se passe bien, on ne le sait pas. C’est assez fou d’en arriver là ! On a un métier dur… si, en plus, on n’a aucun encouragement de la part de nos supérieurs, c’est déroutant. On aimerait vraiment qu’ils puissent nous épauler, venir nous demander si ça ne va pas… avoir du soutien nous ferait du bien. »
- En ce sens, un interne interrogé réclame une véritable gestion humaine :
« Ce qui ne va pas, c’est qu’il n’y a pas de management. Il faudrait que les médecins soient des managers. Quand ils nous contredisent devant les infirmières, nous perdons toute crédibilité. C’est une grosse erreur. Comment peuvent-elles nous faire confiance ensuite ? »
- C’est d’autant plus compliqué que l’interne doit effectivement guider une équipe paramédicale composée principalement d’infirmiers, d’aides-soignants et d’agents de services hospitaliers. Comme le décrit un enquêté :
« L’interne doit être conciliant avec tout le monde, mais l’inverse est loin d’être vrai. Du fait de notre condition, et comme les autres savent que nous ne restons que 6 mois, ils peuvent se permettre de mal nous parler et de ne pas nous respecter. »
- Certains déplorent même parfois un manque de solidarité au sein même du personnel :
« Peu de personnes ont envie de soutenir leurs collègues et/ou de les soulager par empathie. Il n’y a que très peu d’efforts de compréhension entre nous-mêmes, personnel de l’hôpital, toute hiérarchie confondue ou corps de métier appartenant à l’hôpital (médecine générale). »
- Enfin, les futurs médecins interrogés soulignent que ce manque de reconnaissance vient des patients eux-mêmes :
« J’essaye de faire les choses bien mais les patients ne me remercient pas. Pourtant, quand on a le sourire d’un patient ou de sa famille qui nous disent qu’ils sont contents de la prise en charge, c’est entièrement suffisant. Ça nous fait très plaisir et chaud au cœur. »
Quelles solutions ?
Il est bien entendu difficile de proposer des solutions applicables à toutes les situations. Individuellement, les internes n’ont pas le même niveau de mal-être au travail, et collectivement tous les hôpitaux et les médecins seniors n’offrent pas le même soutien.
En ce sens, la souffrance au travail est multifactorielle.
Toutefois, trois niveaux de recommandations semblent émerger de nos recherches : la première concerne l’interne en lui-même et passe par le repérage et l’évaluation des symptômes de l’épuisement. Ils encouragent les internes à accepter de l’aide en cas de besoin.
Deuxièmement, l’organisation hospitalière a sa part de responsabilité. Des indicateurs pourraient être instaurés afin de proposer une meilleure répartition de la charge et du temps de travail. Cela permettrait à ces internes de s’occuper convenablement des patients, tout en ayant la possibilité d’étudier.
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Il serait en outre intéressant que les médecins seniors offrent une présence managériale attentionnée, en étant à l’écoute des internes. L’encadrement a en effet un rôle à jouer afin d’éviter le basculement vers un burn-out, comme le réclame un interne que nous avons interrogé : « C’est clair que s’il y avait plus de management, peut-être qu’on ne travaillerait pas moins mais en tout cas on serait plus contents, plus épanouis ! »
Troisièmement, au-delà de ces préconisations techniques, nos travaux de recherches plaident pour la mise en lumière de l’importance des relations de dons. L’ingratitude de notre société, un management inadapté, le manque de soutien et l’indifférence de certains patients renforcent le mal être des internes. Chacun pourrait prendre une part active afin de diminuer la souffrance de ces internes. À quelque niveau que ce soit : c’est à chacun de veiller au bien être des internes afin qu’ils puissent entretenir des relations équilibrées à la hauteur de leurs dons.
Auteur
Marie Cousineau, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, université de Rouen Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Dernière mise à jour : 27/04/22
Date de publication : 23/11/21