Le saviez-vous ? En nombre de pratiquants, la France est le deuxième pays mondial du camping juste derrière les États-Unis. En 2023, ce sont 22 millions de touristes (dont 1/3 d’étrangers) qui ont pratiqué cette activité, soit près d’un tiers de la population du pays. En plein été, nous avons décidé de nous intéresser au sujet en partant à la rencontre d’Olivier Sirost, professeur à l’UFR STAPS de l’université de Rouen Normandie, directeur de l’unité de recherche CETAPS et grand spécialiste du camping. Ce sociologue des loisirs travaille depuis près de 30 ans sur le sujet. Il étudie les évolutions de ce phénomène avec des enquêtes démographiques sur le terrain, en rencontrant les acteurs des fédérations et des associations ou encore en travaillant sur les archives historiques. Il évoque avec nous les grandes différences entre deux types de camping.
Le camping, d'alternative hygiéniste à parc à thèmes
Olivier Sirost revient sur l’histoire du camping, de sa naissance et son lien avec le sport jusqu’à la création de la fédération d’hôtellerie de plein air qui a radicalement changé la manière de camper.
« Derrière le camping, il y a au départ quelque chose de tout aussi important, qui est l’invention de ce qu’on appelle le plein air. C’est à la fois une alternative hygiéniste, pour sortir de la ville, du mode de vie industrielle, mais c’est aussi une manière de réinventer et de se réapproprier la nature. Le camping, c’est aussi le vecteur de diffusion d’énormément de sports à une époque où il n’y a pas d’équipements sportifs en France. C’est par exemple le cas du volley-ball qui grandit sur les terrains de camping, bien avant la création de la fédération française. Le camping devient même une sorte de sport codifié avec des épreuves pour rallier une distance à vélo, le fait d’être capable de monter un campement dans un temps chronométré, réaliser un feu, etc. C’est hybridé entre le développement de sport et des techniques de mouvement de jeunesse comme le scoutisme. Dans les années 30, au moment où les fédérations sportives vont se développer, quand on va mettre le sport en spectacle sous forme de grandes compétitions internationales, le plein air va se détacher de cette motivation-là. Le camping et le plein air vont plutôt tendre vers la prise de temps, l’exploration du paysage, le fait de se réapproprier la France rurale. Il y a une attention qui est de plus en plus portée à la préservation de la nature et au plaisir. Cette valeur du « vivre pour vivre » devient une valeur partagée de manière quasi unanime dans la société française. Elle est promue d’une part par le gouvernement du Front Populaire en 1936, avec les premiers congés payés pour tous, et d’autre part, par des clubs de vacances. C’est sur ce registre-là que s’inscrit la fondation des clubs de vacances comme le Club Méditerranée dans les années 50 ».
« Au départ, dans les fondations du camping au 19e siècle, il y a quand même des fondations philosophiques, c’est-à-dire l’expression de la philosophie transcendantaliste, de la philosophie de la nature très suisse-allemande dans ses racines. Et tout ça, on essaye de le mettre en pratique par un mode de vie qui est la vie sous la tente, qui peut être le naturisme, qui peut être le plein air. Puis, au début des années 50, tous ces pionniers de la vie sous la tente observent une massification des évasions dans la nature. Pour certains acteurs du camping, les pionniers qui se réclament de l’expression de la philosophie transcendantaliste, celle de la nature et des racines, on s’inquiète de la fin de l’âge d’or. Irrémédiablement, le rouleau compresseur de la société moderne continue à faire son œuvre et à rendre l’accès et le rapport à la nature beaucoup plus compliqué. Si au début des années 30, l’Union française des associations de camping (UFAC) avait été créée, au début des années 80, il y a une autre fédération qui voit le jour : la Fédération d’hôtellerie de plein air. En l’espace de 20 ans, entre 1980 et 2000, on va passer majoritairement de terrains classés une ou deux étoiles, avec des tentes, des caravanes, peu de confort, des blocs sanitaires, à des terrains qui se sont privatisés, qui ne sont plus en gestion associative ou municipale, mais qui dépendent de grandes chaînes privées et de tours opérateurs. Ils gèrent un nombre d’emplacements énormes et se mettent à promouvoir l’habitat léger de loisirs que sont les chalets, les mobil-homes, les bungalows. Les terrains de camping se transforment en parcs de récréation avec de l’hébergement en dur et des méga-piscines (désignés Parcs Résidentiels de Loisirs). D’ailleurs, presque 50% du parc aquatique français est localisé dans les terrains de camping. Aujourd’hui, ces grands promoteurs détiennent plus de 92% du parc de camping français. Camper sous la tente ou sous la caravane devient très difficile en France ».
Deux types d’écologie qui s’opposent
Olivier Sirost explique que le rapport à la nature et à l’écologie est évidemment essentiel pour les campings. Toutefois, deux visions s’opposent et créent parfois des tensions.
« Il y a deux écologies. Celle des pionniers qui, comme ils le disaient eux-mêmes, consiste après avoir retiré leur tapis de sol à redresser l’herbe du revers de la main pour ne laisser aucune trace du passage, aucune empreinte. Et une industrie du plein air qui a un monopole énorme sur un marché très juteux, avec un gros chiffre d’affaires, qui a quand même bétonné les sols, qui a fait de lourds aménagements. Ces géants se sont installés dans des processus de recyclage écologique. Ils vendent des mobil-homes, des chalets, qui ont une durée de vie de 15 ou 20 ans. Derrière, ils ont leur entreprise de recyclage des déchets, puis vont revendre du neuf. Dans ces gros campings en dur, il y a une destruction de la nature. Les corridors écologiques, les couloirs de biodiversité, tout est foutu en l’air. Toutefois, il y a une forme de vernis vert. Il y a une forme de conscience écologique qui se met en œuvre, mais qui en fait est une forme de fausse conscience. Pour faire passer ce temps des vacances en donnant l’illusion de la nature, on implante une végétation qui ne va pas durer, qu’il va falloir replanter l’année suivante, mais qui donne l’illusion du dépaysement. Par contre, cette hôtellerie du plein air est consciente qu’elle risque d’être touchée par les scénarios catastrophes de réchauffement climatique. Et c’est là où ils s’intéressent à l’écologie. Ils sont en train, sur le plan technique de l’ingénierie, d’innover et de proposer des campings sur plateformes amovibles, en cas de montée des eaux. Ils sont en train d’étudier des plantes qui seraient des retardateurs de départ de feu ou des îlots de fraîcheur, pour s’adapter à ce qui est envisagé. Les scénarios qui sont proposés disent que, avec 2 à 4 degrés de réchauffement, cela ferait disparaître 50% du parc de campings français, en raison de l’usure du trait de côte, de la montée des eaux, des incendies. Mais il y a toujours deux écologies qui s’affrontent. Il y a un débat sur ce qui a été la sagesse populaire du rapport à la nature, qui se confronte aujourd’hui à une vision très ingénierie du vert et de l’écologie. Il y a par exemple une lutte des campings GCU (Groupement des campings universitaires) au niveau de l’écologie, d’adaptation aux jeunes, contre la paupérisation de ce type de vacances. C’est une grosse adaptation face au rouleau compresseur libéral de l’hôtellerie de plein air ».
Une sociologie du camping qui change énormément
À l’instar de ce qu’il se passe au niveau de l’écologie, il y a également une forme de lutte sociale qui a vu le jour entre deux types de camping. Olivier Sirost analyse cette sociologie du plein air.
« Jusque dans les années 80, il y a des enquêtes qui expliquent que le camping est le parfait reflet de la société française au niveau des catégories socio-professionnelles et des âges. Par exemple, au début des années 70, la moitié des campeurs sont issus des classes populaires, classes ouvrières, employés modestes. Cela coïncide dans les chiffres avec ce qu’avait promu le Front populaire dans les années 30. Mais peu à peu, le camping se gentrifie. Il y a un changement des classes sociales qui bénéficie des usages de la nature. Il y a par exemple plein de tours opérateurs qui se sont positionnés sur des visites de glaciers, de lacs, d’espaces de reproductions des baleines et qui s’adressent à une classe sociale privilégiée. Et c’est ce qui se passe en ce moment sur le camping et sur sa mutation. Face à cela, les terrains non classés, une et deux étoiles sont une forme de revendication sociale. On essaye d’y maintenir un camping populaire et de limiter l’effondrement du mythe des vacances pour tous. Le camping, dans son origine et dans son message politique, s’est voulu le vecteur de libération et de porteur de la liberté incarné par les vacances. Et aujourd’hui, il y a le ressenti que c’est une privation de liberté supplémentaire. Il y a un camping traditionnel qui rappelle les valeurs profondes de l’écologie des pionniers et du regard jeté sur la nature ».
Et en Normandie ?
Si quand on parle camping on pense souvent côtes atlantique et méditerranéenne ou bivouac en montagne, la Normandie a elle aussi sa place dans le monde du camping comme l’explique Olivier Sirost.
« Il y a une vraie histoire du camping en Normandie. Les stations balnéaires ont été le terrain de jeu des Parisiens, plutôt issus de la bourgeoisie, qui ont créé leur ville de loisirs. Parallèlement, la Normandie, en commençant par l’Eure et le parc du Vexin, a été très tôt, dès les années 30, un terrain de jeu des premières associations de camping. La Normandie est aussi un espace traditionnel où il y a des cabanes. Il y a pas mal de terrains inconstructibles où les gens ont posé une caravane, un chalet, qu’ils ont étendu un petit peu. C’est aussi une caractéristique du territoire. C’est le camping des invisibles, lié au côté financier, à l’instar de ce qui existe aux États-Unis ».
A lire pour aller plus loin :
- Sirost (Dir.), « Habiter la nature ? Le camping », Ethnologie Française, 2001/4
- Sirost (Dir.), « La vie au grand air. Aventures du corps et évasion vers la nature », PUN, coll. Epistémologie du corps, 2009.
G. Raveneau & O. Sirost (Dir.), « Anthropologie des abris de loisirs », Presses Universitaires de Paris Ouest, 2011.
Date de publication : 25/07/24