Fermer le menu

La réforme du label ISR va-t-elle assez loin ?

L’université de Rouen Normandie est partenaire de The Conversation, média en ligne proposant du contenu d’actualité élaboré avec des universitaires. À travers cette rubrique, retrouvez les articles de nos collègues.

Le label investissement socialement responsable connaît un grand succès qui le fait néanmoins perdre quelque peu en lisibilité. Que penser des pistes récemment proposées pour le réformer ?


1278 fonds représentant 834 milliards d’euros d’encours, tels sont les chiffres présentés par le Label Investissement socialement responsable (ISR), créé en 2016 par le ministère de l’Économie et des Finances au 30 septembre 2024. Le but de ce label est de promouvoir les produits d’investissement socialement responsables (ISR) auprès des épargnants. Il occupe la première place parmi les 10 labels européens de finance durable existants, et ce depuis 2017.

Tout semble donc le désigner comme un succès. Ce serait toutefois occulter qu’en ratissant large, sans exclure de secteurs des investissements possibles, il a beaucoup perdu en crédibilité et lisibilité au fil du temps : tout l’inverse de ce pourquoi est fait un label !

Assainir le marché

Dans un rapport paru fin 2020, l’Inspection générale des Finances appelait à une évolution « radicale ». Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a alors missionné en octobre 2021 un comité sous la présidence de Michèle Pappalardo, ancienne présidente de l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), afin de renforcer les exigences du label et d’améliorer son impact climatique.

Trois ans après, en novembre 2023, une réforme issue des travaux du comité est présentée incluant trois aménagements :

  • une obligation pour les fonds d’exclure de leurs portefeuilles les entreprises exploitant du charbon ou des hydrocarbures non conventionnels et celles qui lancent de nouveaux projets d’exploration, d’exploitation ou de raffinage de pétrole ou de gaz ;
  • un renforcement du taux de sélectivité ;
  • des critères plus exigeants en matière de vote et d’engagement actionnarial à destination des gérants de fonds.

Bien que ces changements semblent aller dans le bon sens, certains acteurs de l’ISR dont le Forum de l’Investissement responsable (FIR) appellent à d’autres mesures d’ampleur telles que l’introduction d’un label à niveaux.

Il reste ainsi du chemin à parcourir avant d’assainir le marché des investissements « verts », « durables » ou « responsables ». Le mouvement est cependant enclenché. Les fonds labellisés ont certes jusqu’à début de 2025 pour se conformer au nouveau cahier des charges du label ISR, 20 % à 45 % d’entre eux pourraient ne plus l’afficher au terme de ce délai selon l’agence spécialisée Novethic. En outre, Primonial, une société de gestion, a été épinglée en juin 2024 par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) pour écoblanchiment. Une première. L’entreprise est mise en cause pour « des manquements dans la communication en matière de durabilité » de ses fonds verts.

Une bonne partie des acteurs de l’ISR se demande néanmoins si les nouvelles exigences du label ISR ne restent pas sous-dimensionnées par rapport à l’enjeu climatique. Notre article publié dans la revue International Journal of Finance & Economics apporte plusieurs éléments de réponse à cette question.

Des aménagements bienvenus

Dans cet article, nous examinons la performance environnementale de 307 fonds détenant le label ISR au niveau de leur portefeuille actions sur une période de huit ans (2015-2022). Quatre principaux résultats se dégagent de notre étude.

En premier lieu, il apparaît que les fonds les plus verts ont mis en place une politique volontariste d’exclusions de secteurs fortement émetteurs de carbone validant la pertinence du premier aménagement du label ISR. Ils présentent des portefeuilles moins diversifiés, conséquence de leurs univers d’investissement bien plus réduit. Ce résultat suggère que la réduction de l’univers d’investissement décidée dans le cadre de la refonte du label ISR, le second aménagement, doit permettre d’accélérer le verdissement des fonds.

En second lieu, la proposition du FIR d’un label à niveaux apparaît être pertinente. Un classement en quatre niveaux reflèterait bien la forte hétérogénéité des fonds en matière de performance environnementale, selon nos estimations.

Notre troisième contribution porte sur la détection d’effets d’expérience. Nous montrons que plus le gérant en chef du fonds est expérimenté en matière d’ISR, plus il est vert. À l’inverse, plus celui-ci est expérimenté dans la gestion classique, plus son fonds est brun. Ce dernier résultat laisse perplexe quant à l’intérêt qu’un gérant ayant une expérience significative en gestion classique porte aux recommandations faites par ses collègues analystes extrafinanciers. D’autre part, il suggère que ce gérant manque de formation aux enjeux environnementaux dans une période pourtant marquée par d’importants changements réglementaires en finance durable.

Verdir grâce à plus de parité

Notre dernière contribution porte sur la mise en lumière d’effets positifs de la diversité des genres au sein des équipes de gestion sur le verdissement des fonds ISR : les fonds les plus verts ont tendance à être gérés par des équipes où la parité hommes – femmes gérants est respectée. Or, même si le rapport Alpha Female 2024 de Citywire fait état d’une augmentation du nombre de femmes gérantes de portefeuille, il reste encore du chemin à parcourir pour respecter la parité.

En somme, les résultats de notre étude confirment le bien-fondé de deux aménagements opérés dans le cadre de la réforme du label ISR français à savoir l’exclusion des secteurs fortement émetteurs de carbone et la hausse de la sélectivité des investissements. Pour autant, ces changements pourraient s’avérer insuffisants et trois autres mesures pourraient être prises pour améliorer l’impact climatique du label ISR : la mise en place d’un label à quatre niveaux, une obligation de formation des gérants aux enjeux environnementaux et sociétaux donnant lieu à une certification reconnue par les autorités de marché ainsi qu’une plus grande diversité hommes/femmes des équipes de gestion.

Auteurs

Yves Rannou, Enseignant-chercheur en Finance, Clermont School of Business,

Jinzhao Chen, Enseignant chercheur Finances, Université Clermont Auvergne (UCA),

Mathieu Mercadier, Assistant Professor in Business Analytics, Dublin City University,

Mohamed Amine Boutabba, Maître de conférences en économie, Université de Rouen Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Date de publication : 07/01/25