Créé en 1991, l’Institut universitaire de France (IUF) est un organisme dont l’ensemble des membres, enseignants-chercheurs, sont désignés par un jury international. En faire partie est une reconnaissance et une valorisation de la recherche de ses membres. Ceux-ci sont nommés pour une durée de cinq ans et obtiennent une décharge d’enseignement de 2/3 afin de consacrer plus de temps à leurs recherches. Toutefois, ils restent en place au sein de leur établissement d’études supérieures.
Cette année, comme l’an passé, deux nouveaux enseignants-chercheurs de l’université de Rouen Normandie rejoignent les membres déjà en poste du côté de l’URN. Josselin Baumard, membre du laboratoire CRFDP (Centre de recherche sur les fonctionnements et dysfonctionnements psychologiques) et maître de conférences à l’UFR SHS (Sciences de l’homme et de la société) est l’un d’eux et il répond à nos questions.
Josselin Baumard
Maître de conférences HDR en neuropsychologie, UFR SHS, laboratoire CRFDP
- Vous êtes lauréat au titre de la chaire innovation/fondamentale de l’Institut universitaire de France. Quel sentiment cette annonce a-t-elle provoqué chez vous ?
J’ai d’abord été très surpris. C’était ma première tentative et je m’attendais à un refus car l’IUF est une institution prestigieuse et difficile d’accès ; j’espérais, au mieux, un retour certes négatif mais susceptible d’améliorer mes recherches grâce aux avis des rapporteurs français et étrangers. Je suis au final extrêmement honoré et reconnaissant d’être membre de l’IUF.
- Vous devenez membre de l’IUF pour une recherche bien spécifique. Laquelle ?
Mon projet de recherche porte sur l’apraxie. L’apraxie est un syndrome neuropsychologique qui correspond à des difficultés pour produire et reconnaître des gestes ou pour utiliser des objets de la vie quotidienne, suite à une lésion cérébrale ; ce qui a des conséquences importantes sur l’autonomie des personnes concernées. Cela fait une douzaine d’années que je travaille sur ce syndrome, notamment auprès de patients présentant des lésions vasculaires ou neurodégénératives. Cela m’a permis de mieux comprendre quels sont les troubles cognitifs à l’origine de l’apraxie et de créer des outils d’évaluation. J’ai aussi pu constater qu’il existe un fossé entre l’évolution des connaissances dans ce domaine et la pratique clinique quotidienne de nombreux cliniciens (neurologues, neuropsychologues, mais aussi ergothérapeutes ou psychomotriciens), qui se trouvent souvent démunis pour évaluer finement les troubles praxiques. L’objectif de ma Chaire Innovation est donc de diffuser des outils conceptuels, par exemple des modèles théoriques et des aides au diagnostic, ainsi que des méthodologies d’évaluation, afin d’améliorer la pratique des cliniciens et la formation des étudiants.
- Plus généralement, quels sont vos sujets de recherche ?
Mes travaux s’inscrivent dans le champ de la neuropsychologie de l’action et de la cognition motrice. J’étudie ainsi les processus cognitifs et moteurs qui permettent aux humains d’interagir avec leur environnement physique. Cela implique en réalité de nombreux processus cognitifs, tels que par exemple la mémoire sémantique (les connaissances sur le monde), le raisonnement technique (la capacité à inférer des utilisations alternatives possibles des objets), les fonctions exécutives (capacité à organiser son activité dans le temps) et la cognition sociale (capacité à inférer les états mentaux d’autrui). J’essaie notamment de modéliser les processus en jeu dans les interactions humain-objet et de comprendre comment les effets de contexte, notamment social, peuvent venir moduler ces interactions et plus largement les décisions d’action. Enfin, comme interagir avec notre environnement implique un engagement du corps dans l’action, je travaille également sur le schéma corporel et l’image du corps, ainsi que sur les troubles du vécu corporel documentés en neurologie et psychiatrie.
- Pourquoi avoir postulé pour rejoindre l’IUF ?
Cela faisait plusieurs années que des collègues me conseillaient de candidater au regard de mon dossier scientifique mais il m’a toujours semblé que mes projets n’étaient pas encore “mûrs”. J’ai préparé et soutenu mon HDR (Habilitation à Diriger des Recherches) en 2023. Cela m’a permis de faire le point sur mes travaux, sur les grandes questions auxquelles je souhaitais répondre dans les années à venir, et de structurer mes axes de recherche. J’ai donc candidaté à l’IUF pendant que je préparais mon HDR afin de valoriser et rendre visibles mes travaux passés et d’obtenir des moyens pérennes pour mes projets futurs.
- En quoi est-ce important de rejoindre cet institut ?
Être lauréat de l’IUF ouvre droit à un budget de fonctionnement autonome sur 5 ans ainsi qu’à une décharge d’enseignement conséquente. J’aime énormément le travail auprès des étudiants et m’investir dans la structuration des formations (j’ai été responsable du parcours “Neuropsychologie cognitive et psychopathologie”, Mention Psychologie de 2017 à 2024) mais il est vrai que les conditions offertes par l’IUF donnent du temps et des moyens pour développer nos recherches, deux éléments qui manquent cruellement aux enseignants-chercheurs. Ces derniers passent un temps considérable à accomplir des tâches administratives et pédagogiques souvent urgentes, tandis qu’il est parfois difficile de dégager du temps pour la recherche ; et lorsque c’est possible, ce temps est souvent passé à répondre à des appels à projets pour obtenir des moyens pour réaliser nos recherches – sans succès garanti. Rejoindre l’IUF offre ainsi des conditions de travail sereines sur plusieurs années, ce qui est à mon sens nécessaire pour être créatif et faire de nouvelles découvertes. C’est aussi une reconnaissance institutionnelle qui n’est pas si fréquente que cela dans notre métier. Cela permet également d’entrer en lien avec des collègues d’autres universités eux-aussi fortement investis dans la recherche. Enfin, le statut de lauréat IUF donne une visibilité aux laboratoires de recherche (en ce qui me concerne, le CRFDP ou Centre de Recherche sur les Fonctionnements et Dysfonctionnements Psychologiques) et aux formations qui y sont adossées, ce qui peut profiter au collectif.
Mélanie Lucciano, maîtresse de conférences à l’UFR LSH en études latines et membre du laboratoire ERIAC a également fait son entrée à l’Institut universitaire de France au sein de la chaire fondamentale. Son projet porte sur les aspects philosophiques, rhétoriques et pédagogiques de la chrie.
Dernière mise à jour : 09/10/24
Date de publication : 07/10/24