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Immigration : l’entreprenariat féminin, oublié des débats ?

L’université de Rouen Normandie est partenaire de The Conversation, média en ligne proposant du contenu d’actualité élaboré avec des universitaires. À travers cette rubrique, retrouvez les articles de nos collègues.

« Je suis une fille du bled et alors ? Je vais réussir… toute la force est dans cette capacité à tout faire!…
Je veux avoir une grande place ici ! Je suis vraiment épanouie, j’ai trouvé mon équilibre… »

Ces mots sont ceux de Kamélia, 37 ans, une femme entrepreneure d’origine magrébine installée en France depuis 2010. Elle s’est mise à son compte dans le domaine de l’événementiel depuis plus de 5 ans. Son histoire, qui mêle résilience et détermination est représentative de celles d’autres femmes qui ont choisi l’entreprenariat dans leur pays d’accueil, la France.

Or, cette autre facette de l’immigration est souvent omise dans les débats. L’entreprenariat est pourtant un accélérateur à l’intégration sociale et économique, si centrale dans les discussions liées à l’immigration.

De plus, en France, l’immigration est en grande partie féminine : la population des migrants compte 51,5% de femmes en 2022 avec une dominante nord-africaine et ivoirienne. Les femmes immigrées, malgré leur grand nombre, ne font pas l’objet d’une stratégie d’intégration durable à part entière, loin des dispositifs de logement et de prise en charge sociale.

Des difficultés sur le marché et dans la société viennent entraver leur potentiel. L’entrepreneuriat féminin migrant devrait être mieux pris en compte et considéré pour ce qu’il est : un levier d’autonomisation, d’insertion et d’élévation sociale. Il repositionne l’immigration féminine comme un vecteur potentiel de croissance en France.

Fabriquer des « entrepreneuses migrantes » ?

Notre étude approfondie de parcours de vie des femmes migrantes installées à leur compte en France, montre comment le vécu « féminin », permet de mieux comprendre l’entrée en entrepreneuriat des populations étudiées. Nous avons plus particulièrement suivi cinq femmes migrantes d’un âge moyen de 35 ans. Installées en France depuis 10 ans en moyenne, elles ont monté des projets entrepreneuriaux dans le stylisme, l’événementiel, l’artisanat, la formation professionnelle et la commercialisation para pharmaceutique.

Nous avons essayé de comprendre comment ces femmes ont forgé leur capacité à se mettre à leur compte. Leur entrée en entrepreneuriat est le fruit de la conjonction de deux dimensions : d’une part des manières d’être et d’agir forgées par leur passé. D’autre part, des éléments de leur contexte présent.

Des dispositions forgées dans le pays d'origine

L’étude du passé des femmes migrantes a révélé leurs dispositions à entreprendre. Par dispositions, nous voulons dire les manières d’être et d’agir. Au-delà des aptitudes qui peuvent être techniques, il s’agit de façon d’être par exemple être très correctif ou au contraire avoir une tendance à tolérer l’irrégularité que l’on a appris et forgé tout au long des années.

Ces dernières ont été identifiées chez les femmes migrantes en tant que reflet de leurs expériences passées, depuis leur tendre enfance jusqu’à aujourd’hui.

Au fil des années, ces femmes ont traversé des épreuves de domination et des jeux de pouvoir dans leur famille, à l’école, au travail et dans leur cercle amical. Beaucoup des femmes interrogées m’ont ainsi expliqué que leurs tendances à l’hypersensibilité ou à l’empathie ont pu les motiver à entreprendre un parcours professionnel tourné vers le soin.

« Nous avons grandi également avec des valeurs d’entraide, nous avons été éduqués ainsi…
Mon papa par exemple a pris la responsabilité de sa sœur et de ses enfants, il avait toute la famille sur le dos ! ».

D’autres ont raconté que l’influence de la figure de la mère « cheffe de famille » ou de la femme indépendante idéalisée dans l’histoire de la société magrébine ont joué dans leurs représentations.

Cette manière d’être libre et autonome s’est construite petit à petit chez elles, pour qu’elles soient aujourd’hui, disposées à l’émancipation.

Pour mettre en place leur entrepreneuriat en France, ces femmes ont retrouvé un contexte présent favorable. Ce dernier s’est construit autour de la complicité conjugale, au sein de la communauté, du réseau associatif et de la diaspora.

Sortir d’un objectif d’uniformisation vers la moyenne de la société française

S’inspirant de la théorie de l’action en sociologie, notre modèle de « fabrication » des femmes entrepreneures migrantes pourrait servir de base pour une segmentation des populations féminines migrantes en France.

Les « manières d’être et d’agir » identifiées dans notre étude pourraient, en effet, être les critères de cette segmentation. Un groupe de femmes migrantes ayant été disposées au care, à la résilience, à l’émancipation et à l’hypersensibilité serait identifié et par conséquent, concerné par un dispositif d’incubation entrepreneuriale.

Notre étude a montré que ces manières d’être ont orienté les femmes migrantes vers l’entrepreneuriat d’une façon générale. Elle pointe vers un modèle qui va au-delà de l’uniformisation des caractéristiques des migrantes vers la moyenne de la société française, qui n’aboutit toujours pas à éviter de reproduire les inégalités, voire de les étendre au fil des années. En reconnectant leur passé à leur présent, notre approche tente, en revanche de comprendre de l’intérieur, les normes et les conduites des migrantes

Le dispositif proposé vise à mieux comprendre la situation de départ de la femme migrante sur le territoire français, généralement désavantageuse. Puis, il débouche sur un projet professionnel d’autonomisation de la femme migrante en se basant sur ses ressources sociales puis sur ses ressources économiques.

Auteur

Henda Gmada, ATER et Docteure en sciences de gestion, Université de Rouen Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Date de publication : 16/04/24