La Soufrière, volcan situé au nord de la principale île de l’État caribéen de Saint-Vincent-et-les Grenadines (SVG), est entrée en éruption ce vendredi 9 avril 2021 à 08:41 du matin heure locale. Une phase explosive a provoqué un panache de cendre de près de 10 km de haut, recouvrant tout le nord de l’île d’une couche de cendres de plusieurs centimètres.
Éruption à Saint-Vincent-et-les-Grenadines : gérer une évacuation en temps de pandémie
La crise volcanique se poursuit depuis plus de deux semaines, avec des écroulements successifs du dôme de lave engendrant des coulées pyroclastiques qui se répètent et risquent de se poursuivre pendant des semaines. On ne dénombre à ce jour aucune victime directe liée à l’éruption.
Le 28 décembre 2020, l’agence nationale de gestion de crise (NEMO) avait placé l’île en état d’alerte de niveau orange, signifiant à la population de se préparer à l’éventualité d’une évacuation imminente. Tout au long des premiers mois de 2021, les volcanologues ont suivi l’activité du volcan avec attention.
Le plan rouge a été déclenché par le NEMO dans l’après-midi du 8 avril, soit quelques heures avant la première explosion, donnant lieu à un ordre d’évacuation pour les 20 000 habitants de la zone rouge. Cette évacuation vers le sud de l’île, qui s’est réalisée pour partie durant la nuit
– en bateau ou par la route – était donc toujours en cours lorsque l’éruption a débuté.
Cette crise volcanique majeure qui touche Saint-Vincent se superpose à la crise pandémique. Si le nombre de cas a été relativement faible en 2020, le pays subit depuis janvier une première vague épidémique et débute sa campagne de vaccination. L’arrêt total des croisières et du tourisme international depuis plusieurs mois ont quant à elles particulièrement fragilisé une population déjà très vulnérable sur le plan économique.
Dans ce contexte épidémique, l’évacuation de la population pose de nombreux défis supplémentaires aux acteurs présents sur le terrain.
Réticence à la vaccination
Lorsque la Soufrière est entrée en éruption le 9 avril, un contrôle strict aux frontières était déjà en place depuis le 24 février 2021 à SVG, imposant aux voyageurs une quarantaine à l’arrivée. La communauté des Caraïbes avait par ailleurs fondé sa stratégie commune sur la limitation de la circulation du virus entre les îles, en freinant au maximum les échanges dans la région.
Près de 10 % des 110 600 habitants de Saint-Vincent-et-les Grenadines étaient par ailleurs vaccinés contre la Covid-19 – le virus ayant infecté près de 1 600 personnes et causé 10 décès depuis le début de la pandémie.
Malgré plusieurs dizaines de milliers de doses disponibles grâce au programme COVAX, toute une partie de la population se montrait néanmoins réticente à recevoir l’injection.
La tentative du gouvernement d’imposer aux fonctionnaires, et notamment aux enseignants, de présenter un test PCR négatif ou d’être vaccinés avant la rentrée prévue le 12 avril, avait par ailleurs suscité une farouche opposition des syndicats.
Dans ce contexte, l’urgence de l’évacuation face à l’éruption s’est heurtée à la gestion de la pandémie, faute d’une bonne préparation.
Manque d’anticipation
C’est aux alentours de 17 heures, le 8 avril, que l’ordre d’évacuer la zone rouge a été donné, quelques heures seulement avant la première explosion. D’abord diffusée en direct à la télévision par le Premier ministre, l’information est rapidement relayée par les radios, les réseaux sociaux et la police, qui a assuré des alertes mobiles dans le nord de l’île.
Depuis 24 heures déjà, l’intensification de l’activité volcanique avait cependant alerté la population. Prenant d’assaut magasins et stations-services, celle-ci avait alors bien vite oublié les gestes barrières et la distanciation physique de mise depuis un an.
Cette anticipation d’une éventuelle évacuation est une problématique récurrente en matière de gestion de crise, le rôle de cette dernière étant justement d’éviter ces situations de pénurie, de chaos et de panique au moment de l’alerte.
Fin décembre 2020, le passage à l’alerte orange visait déjà à préparer la population à une potentielle évacuation, en listant notamment les produits de première nécessité et les abris disponibles. Mais la préoccupation vis-à-vis du virus semble avoir éclipsé la possible éruption du volcan.
Cette période aurait pourtant permis d’étaler dans le temps l’approvisionnement et ainsi de limiter les contacts rapprochés. Elle aurait également dû laisser le temps aux autorités d’identifier les conflits possibles entre l’ordre d’évacuation et la lutte contre la pandémie.
Vaccination et rumeurs
La population de la zone rouge a rapidement suivi l’ordre d’évacuation, à pied, en voiture ou en bateau pour rejoindre le sud de l’île. À l’aide de simples barques de pêcheurs, de nombreuses personnes ont été évacuées vers d’autres îles de l’archipel. Certains navires de croisières, disponibles en raison de l’absence de touristes, ont également rejoint l’île pour participer à l’évacuation.
Seules quelques centaines de personnes ont été emmenées chez les voisins caribéens – pour l’essentiel des étrangers ou des locaux déjà munis d’une autorisation de partir et vaccinés. Car si les États alentours se sont rapidement dits prêts à accueillir des réfugiés, ils ont conditionné leur accueil à la présentation d’un certificat de vaccination, afin de limiter la circulation du virus. Une condition qui a pu donner lieu à l’incompréhension de la part de la population cherchant à fuir la zone de danger.
Des rumeurs ont alors rapidement circulé sur une obligation de vaccination contre la Covid-19 pour accéder également aux abris officiels à Saint-Vincent. Dans les faits, seul un dépistage de la Covid-19 et un isolement lorsque cela était nécessaire ont été imposés aux réfugiés admis dans les centres d’hébergement. Le respect des gestes barrière y est très contrôlé. La mise en quarantaine sera par ailleurs facilitée du fait de la disponibilité des hôtels en l’absence de touristes.
Et si la crise volcanique devait s’amplifier
Les difficultés à court terme que pose cette double crise découlent du brassage de la population. Près de 20 000 personnes, soit 20 % de la population, ont été déplacées du nord vers le sud de l’île.
Si la prise en charge sanitaire d’une partie d’entre elles est assurée dans les refuges – tests PCR, isolement, vaccination volontaire – l’autre partie, qui reste encore à évaluer et à localiser, s’est répartie entre les familles, les amis et les chambres d’hôtel.
Cette nouvelle répartition démographique augmentera mécaniquement le brassage de population, les contacts et la concentration dans les lieux publics, ce qui risque de favoriser une diffusion plus rapide du virus.
Une accélération de la campagne vaccinale doit donc être rapidement enclenchée, d’autant plus que la fermeture des hôpitaux situés dans la zone évacuée et le transfert des malades augmenteront inéluctablement le taux d’occupation des hôpitaux dans le sud de l’île.
Les poussières et cendres volcaniques qui recouvrent désormais l’île pourraient également devenir des facteurs aggravants pour les patients souffrant de problèmes respiratoires. Sans compter sur l’épidémie de dengue d’une ampleur inégalée que connaît l’île de Saint-Vincent-et-les-Grenadines.
Autant de facteurs qui vont peser sur le système hospitalier et exigeront probablement des transferts de malades vers les hôpitaux des îles voisines.
Auteurs
- Éric Daudé, Directeur de recherche CNRS, géographe, Université de Rouen Normandie ;
- Alexandre Cebeillac, Post-doctorant, Université de Rouen Normandie ;
- Delphine Grancher, Chercheuse, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ;
- Franck Lavigne, Professor des Universités, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ;
- Olivier Gillet, Chercheur (Doctorant à l’université de Rouen), Université de Rouen Normandie.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Dernière mise à jour : 19/09/23
Date de publication : 30/04/21