Cet article a été publié avant les résultats des élections américaines et ne prend pas en compte la victoire de Donald Trump.
Première puissance économique mondiale avec un PIB de 26 185 milliards de dollars en 2024, première puissance militaire, lieu de tous les rêves culturels et de toutes les réussites sportives, les Etats-Unis continuent d’attirer et d’agacer, de fasciner et de repousser. Qu’on le veuille ou non, les élections américaines qui se tiendront le 5 novembre 2024 auront forcément une incidence, même minime, sur la globalité du monde. C’est pourquoi celles-ci prennent autant d’importance, notamment dans les médias français.
Kamala Harris ou Donald Trump, le choix est clair pour des dizaines de millions d’Américains. Les Etats-Unis se fracturent de plus en plus et la plupart des électeurs savent déjà pour qui ils voteront depuis des mois. Pourtant, il reste quelques indécis à convaincre, notamment dans les fameux swing states. Pour cela, les deux candidats redoublent de meetings et de communication dans ces états. Luc Benoit à la Guillaume, Professeur des universités en études américaines à l’université de Rouen Normandie, et spécialiste des discours politiques, nous explique la différence entre les deux types de discours et d’arguments employés par les candidats.
Si dans quelques jours, les électeurs américains devront choisir entre la démocrate Kamala Harris et le républicain Donald Trump, ça n’a pas toujours été le cas. Il y a quelques mois, Joe Biden était encore candidat à sa réélection et c’est justement une histoire de discours qui a changé le cours de l’histoire. « En effet, c’est sa performance lors du débat fin juin face à Trump qui a mené à des pressions fortes qui ont contraint Biden à abandonner sa candidature » explique Luc Benoit à la Guillaume. « En raison de l’âge de Joe Biden, on constate que Kamala Harris est quand même plus à l’aise sur le plan de la communication. Quand on a vu les derniers discours qu’il a faits, y compris à la convention démocrate, cela se voyait qu’il était un petit peu moins à l’aise à l’oral qu’autrefois ».
C’est donc l’actuelle vice-présidente qui a donc repris le flambeau et est officiellement devenue la candidate à la Maison Blanche. « Pour elle, le défi est d’incarner le changement dans la continuité, sans renier le bilan du président sortant. À l’inverse, le camp d’en face, celui de Donald Trump, essaie de la faire passer comme étant la continuation de la présidence qui se termine », explique le Professeur des universités.
La bonne tactique de Kamala Harris
Au niveau de la rhétorique et du contenu de son discours, la candidate a une tactique bien différente de celle de Joe Biden. « Biden décrivait Trump comme un danger pour la démocratie. Il disait que ce serait peut-être la dernière élection, que c’était la démocratie qui était en jeu lors de ce scrutin », continue l’enseignant-chercheur. « Avec Harris, on l’a bien vu au moment du débat, elle fait en sorte de déclencher chez Trump des comportements extrémistes dont elle se moque ensuite. Une fois qu’il a dit des absurdités ou des énormités, elle sourit. C’est un style un peu différent. Elle essaie de montrer, sans dramatiser sur la question de la démocratie ou de l’extrémisme, que cette personne n’est pas fiable ». L’exemple qui a fait le tour du monde il y a quelques semaines, c’est quand l’ancien Président a parlé des Haïtiens qui mangeaient des chats et des chiens. « Elle l’a fait répéter, l’a regardé et l’a laissée s’enfoncer ».
L’enjeu du débat
Les deux candidats ne se sont retrouvés face à face qu’une seule fois, le 10 septembre dernier. Aucun autre débat n’a été organisé en dehors de celui-ci. Luc Benoit à la Guillaume revient sur ce moment. « Il y a des règles assez strictes. C’est très différent des débats en France. Les candidats ne sont pas face à face, mais l’un à côté de l’autre, chacun à son pupitre. C’est vraiment très cadré par les modérateurs, qui étaient des journalistes de la grande chaîne ABC. La règle est que ce sont les journalistes qui posent les questions. Chaque candidat répond en deux minutes, l’un après l’autre, et ensuite, ils ont un droit de réponse d’une minute ». Deux minutes plus une, c’est court, très court. « Certains ont reproché à Kamala Harris de ne pas être suffisamment précise sur son programme. Mais quand vous avez deux minutes pour répondre à une question comme “qu’est-ce que vous allez faire pour combattre l’inflation et pour le pouvoir d’achat des Américains”, répondre en deux minutes, c’est compliqué ».
Mais est-ce qu’un des deux candidats est ressorti vainqueur de ce débat ? On dit souvent que les partisans reconnaissent toujours la victoire de celui qu’ils soutiennent. Ce débat n’a pas dérogé à la règle. Pourtant, Luc Benoit à la Guillaume reconnait une petite domination de la démocrate. « Chaque candidat a déroulé ses arguments de campagne, mais c’est vrai que ce qu’elle a réussi à faire, c’est à le provoquer sur des points liés à sa fierté personnelle et à son égo un peu fragile. Il est tombé dans le panneau et a passé beaucoup de temps à parler du nombre de gens dans ses meetings, de choses assez annexes, au lieu d’aller faire ce que ses conseillers lui conseillaient de faire, c’est-à-dire attaquer le bilan de Joe Biden et dire que Kamala Harris était la continuation de cette politique ».
Des discours vraiment efficaces ?
Quand Taylor Swift et ses 283 millions d’abonnés sur Instagram a annoncé soutenir Kamala Harris, cela a résonné comme une sorte de raz de marée qui pourrait changer le cours de l’élection. Mais est-ce que des meetings et des débats sont-ils encore plus efficaces pour faire bouger les lignes ? « Il y a eu des recherches sur cette question-là de la part de politistes », continue le professeur rouennais. « Et la réponse, c’est non. Il n’y a pas d’exemple de débat qui a changé le résultat d’une élection, qui a eu un rôle vraiment décisif. Il y a plusieurs raisons à cela : le fait que les campagnes sont très longues et qu’on sait très bien que dans les cycles de communication, une nouvelle chasse l’autre. Par exemple, la tentative d’assassinat contre Donald Trump, on a l’impression que c’était il y a un siècle. On aurait pu croire sur le moment que ça changerait beaucoup les choses, mais en réalité, pas vraiment. Et on peut également évoquer le fait que l’électorat est très polarisé. Il y a en fait peu d’indécis. Généralement, ceux qui regardent les débats savent déjà pour qui ils veulent voter ».
Alors si les débats et les discours n’influencent pas réellement les votes, qu’est-ce qui le fait ? Pourquoi y-a-t-il autant d’enjeux dans les swing states ? Doit-on seulement s’en remettre à l’influence de Taylor Swift ? « Cela se joue sur la composition particulière des États », poursuit Luc Benoit à la Guillaume. « Il y a désormais beaucoup de ciblage dans les campagnes électorales contemporaines. On fait du porte-à-porte, on cible sur les réseaux sociaux. Cela dépend aussi des candidats aux différentes élections. Le 5 novembre on élit le Président, mais il y a aussi le Congrès et les gouverneurs pour lesquels on vote en même temps. Or cela peut avoir une vraie incidence. Par exemple, en Caroline du Nord, qui a voté Trump de justesse il y a quatre ans, il y a le candidat pour le poste de gouverneur républicain, qui est un extrémiste, qui a fait gaffe sur gaffe, et donc CNN a déterré des déclarations où il disait que l’esclavage était une bonne chose. Il inquiète les républicains, parce que ça peut être un boulet pour l’élection au poste de gouverneur, et comme cela a lieu en même temps que la présidentielle, les gens se disent que cela peut avoir, indirectement, un impact sur l’élection générale ».
L’élection pour un gouverneur peut influencer un vote, celle pour un référendum aussi. « Dans certains États, il va y avoir des référendums pour ou contre l’avortement, notamment dans des États républicains dont les assemblées locales sont contre ce droit. Mais parfois, l’opinion publique est quand même pour. Cela peut encourager la participation de ceux qui vont vouloir voter pour légaliser l’avortement, plutôt des démocrates. Et donc, s’il y a dans tel ou tel État ce type de référendum-là, cela peut augmenter très légèrement la participation en faveur de Kamala Harris », conclut Luc Benoit à la Guillaume.
Dernière mise à jour : 06/11/24
Date de publication : 25/10/24