Créé en 1991, l’Institut universitaire de France (IUF) est un organisme dont l’ensemble des membres, enseignants-chercheurs, sont désignés par un jury international. En faire partie est une reconnaissance et une valorisation de la recherche de ses membres. Ceux-ci sont nommés pour une durée de cinq ans et obtiennent une décharge d’enseignement de 2/3 afin de consacrer plus de temps à leurs recherches. Toutefois, ils restent en place au sein de leur établissement d’études supérieures.
Cette année, deux nouvelles enseignantes-chercheuses de l’université de Rouen Normandie, Laura Goudet et Sandra Provini, rejoignent les 17 membres déjà en poste du côté de l’URN. Elles sont devenues officiellement membres de l’IUF ce mardi 14 novembre lors d’une cérémonie qui s’est tenue à l’université de la Sorbonne. Nous en avons profité pour les rencontrer.
Laura Goudet
Maîtresse de conférences, UFR Lettres et sciences humaines, laboratoire ERIAC
- Vous venez de rejoindre les membres rouennais de l’IUF. Avant de parlez de vous et de vos recherches, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’Institut universitaire de France ? Quelles sont ses objectifs ?
Les objectifs de l’IUF sont de valoriser des chercheurs et chercheuses dont les profils sont prometteurs pour la recherche actuelle (pour les membres junior) ou de confirmer les recherches de membres senior—la nomination en tant que membre junior ou sénior se fait en fonction de l’âge (40 ans étant la démarcation entre les deux groupes). J’ai été nommée, comme 99 autres scientifiques français, à une chaire junior, dont les buts dans le domaine des recherches appliquées (il y a aussi des chaires médiation et innovation).
L’Institut Universitaire de France, c’est une reconnaissance réelle, pour un travail de recherche déjà accompli et à venir, c’est un vrai vote de confiance et une récompense prestigieuse, qui vient avec une décharge de cours conséquente (2/3 d’un service normal) et des crédits personnels de 15 000 € par an pour tous les aspects de notre recherche.
- Vous devenez membre de l’IUF pour une recherche bien spécifique. Laquelle ?
Je travaille sur la façon dont les dictionnaires et les ouvrages de référence des anglais africains sont rédigés : je m’intéresse à comparer ces dictionnaires et à en délimiter les enjeux (sociopolitiques, notamment) au travers des textes qui les accompagnent (leurs introductions, les méthodes employées pour recueillir des données, le type de données présentes dans ces dictionnaires, etc.). Ces dictionnaires et les anglais qui y sont présentés se différencient d’un hégémon britannique ou américain de diverses manières : ils intègrent d’autres langues colonisatrices (comme le français, dans les dictionnaires d’anglais camerounais), ou se veulent des repoussoirs (comme le dictionnaire d’anglais ougandais), etc.
- Plus généralement, quels sont vos sujets de recherche ?
Je travaille sur deux choses : tout d’abord, la dialectologie des langues parlées dans des pays anglophones ; ainsi que l’étude de nouveaux médias (internet et jeux vidéo) où je concentre également mes recherches sur les représentations des minorités .
- Pourquoi avoir postulé pour rejoindre l’IUF ?
Qui ne voudrait pas de telles conditions rêvées pour mener ses recherches ? J’aime énormément donner cours et mes étudiants, mais la durée de la délégation (5 ans) et ses conditions idylliques de travail me permettent d’enfin pouvoir commander des livres, dont mes dictionnaires, de me rendre sur le terrain, d’avoir aussi le temps pour mener à bien de belles recherches…
- En quoi est-ce important de rejoindre cet institut ?
Il est compliqué d’être enseignante-chercheuse à l’université en ce moment : trop peu de recrutements, trop peu de moyens, d’infrastructures, etc. font que la profession est de moins en moins attractive, et que nous ne sommes pas reconnus pour notre travail, y compris au sein de nos composantes. Rejoindre l’Institut Universitaire de France, c’est une façon de créer du lien avec d’autres chercheurs qui sont aussi fortement passionnés par leurs recherches, tout en ayant une reconnaissance pécuniaire, et un allègement de nos conditions de travail qui me permettent d’aborder la suite de ma carrière avec plus de sérénité.
Sandra Provini
Professeure des universités, UFR Lettres et sciences humaines, laboratoire CÉRÉdI
- Vous venez de rejoindre les membres rouennais de l’IUF. Avant de parlez de vous et de vos recherches, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’Institut universitaire de France ? Quelles sont ses objectifs ?
L’Institut universitaire de France a pour objectif de soutenir la recherche dans les universités. Il accueille en délégation des enseignants-chercheurs dont le projet est sélectionné par un jury international. Les membres de l’IUF bénéficient d’une décharge des 2/3 de leur service d’enseignement et d’une enveloppe de crédits de recherche s’élevant à 75 000 euros pendant cinq ans. Les objectifs mis en avant par l’IUF sont la promotion de l’interdisciplinarité, la féminisation de la recherche et le maillage scientifique de l’ensemble du territoire.
- Vous devenez membre de l’IUF pour une recherche bien spécifique. Laquelle ?
Mon projet IUF Junior 2023-2028, à la croisée de la littérature et des humanités numériques, s’intitule « Voix féminines de la première modernité. Le renouveau de l’héroïde en France dans la première moitié du XVIe siècle ». Il porte sur la réception et les transformations du genre de l’héroïde, à partir de la première traduction intégrale en langue française des Héroïdes d’Ovide, recueil d’épîtres élégiaques composées, pour la plupart, au nom d’héroïnes mythologiques comme Pénélope ou Médée. Cette traduction, réalisée par Octovien de Saint-Gelais pour la cour du roi Charles VIII en 1496, a eu une influence majeure sur la poésie amoureuse de la Renaissance.
Je prépare une édition critique numérique de la traduction de Saint-Gelais, ainsi qu’une anthologie numérique d’héroïdes originales, composées par des poètes et poétesses en français ou en néo-latin tout au long du XVIe siècle, anthologie à laquelle participent les étudiant.e.s du Master Humanités numériques de l’université de Rouen. La publication de ces textes et leur analyse contribueront à éclairer les transformations du genre de l’héroïde, des figures – mythiques, fictionnelles, ou historiques – qu’il met en scène et des voix féminines qu’il construit.
- Plus généralement, quels sont vos sujets de recherche ?
Mon principal domaine de recherche est la poésie française et néo-latine de la Renaissance. Je travaille plus particulièrement sur la réception, les traductions et imitations d’Ovide au XVIe siècle, notamment sous la plume du poète Michel d’Amboise : je coordonne l’édition critique de ses Œuvres complètes, dont le volet numérique est paru en 2022 dans le cadre du programme CORNUM coordonné par l’IRIHS et soutenu par la Région Normandie. Plus généralement, je travaille sur les réécritures d’œuvres antiques dans la première modernité ainsi qu’à l’époque contemporaine (L’Antiquité dans l’imaginaire contemporain, Garnier, 2014).
- Pourquoi avoir postulé pour rejoindre l’IUF ?
Après la soutenance de mon Habilitation à diriger des recherches, en 2022, j’ai réfléchi à ce projet sur la réception des Héroïdes d’Ovide en France au XVIe siècle, appelé par mes travaux antérieurs. J’avais notamment été frappée, au cours de la rédaction de mon HDR, que la traduction des Héroïdes par Octovien de Saint-Gelais n’ait pas encore fait l’objet d’une édition critique malgré l’influence majeure que ce texte a exercé sur la poésie de la Renaissance en France. Mais la préparation de l’édition numérique des XXI Epistres d’Ovide implique un travail philologique long et minutieux, pour prendre en compte la quinzaine de manuscrits et la trentaine d’éditions imprimées que nous conservons de cette œuvre. La direction du CÉRÉdI m’a encouragée à présenter ma candidature à l’IUF, pour que je bénéficie à la fois du temps nécessaire à la réalisation de ce travail, et des crédits indispensables à la création de l’édition numérique.
- En quoi est-ce important de rejoindre cet institut ?
La délégation IUF offre les conditions nécessaires à la réalisation d’un projet de recherche d’ampleur. Elle représente aussi une reconnaissance de la qualité des recherches menées en lettres et en humanités numériques au sein du CÉRÉdI de l’université de Rouen, et leur offre une meilleure visibilité nationale et internationale.
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Date de publication : 15/11/23