En s’inscrivant à l’atelier de courts-métrages animé par Julien Humphreys, les étudiants de l’UFR Lettres et sciences humaines ne s’attendaient pas forcément à vivre les mois qu’ils ont vécu. Pensaient-ils en septembre que quelques mois plus tard ils tourneraient un film avec des acteurs, des figurants, en langue géorgienne, avec des costumes traditionnels, au sein d’une maison appartenant à une association venant en aide aux sans-papiers ? C’est fort peu probable, et pourtant, c’est ce qu’ils ont réussi à faire.
Julien Humphreys est professeur d’anglais à l’UFR LSH de l’université de Rouen Normandie. Avant de rejoindre l’URN, il travaillait au collège Diderot de Petit-Quevilly. C’est là-bas qu’il a organisé ses premiers ateliers de courts-métrages. Quand il est arrivé au sein de l’université rouennaise, il a voulu continuer ce projet, toujours entouré de Doltin Baveux, réalisateur à l’association Archimède-films et Sophie Amaury, une comédienne.
L’atelier, débuté en septembre, s’est déroulé en plusieurs phases qui ont mené les étudiants jusqu’au tournage du film la semaine passée. « Nous avons commencé par travailler autour de plusieurs scénarios, avec plusieurs groupes », explique l’enseignant. « C’est un travail parfois un peu long, qui dure plusieurs mois, mais il est essentiel parce qu’il lance le projet. Il y a même une petite compétition qui s’est installée entre les groupes ». Fin janvier, il a fallu choisir le scénario lauréat, celui sur lequel ils continueraient à travailler le reste de l’année. C’est Julien Humphreys, Doltin Baveux ainsi que Sophie Amaury qui ont fait le choix final.
Un scénario au thème social
Le scénario retenu a été écrit par Tatia et deux de ses camarades. « Le prérequis du professeur Humphreys était d’avoir certains dialogues en langue étrangère », raconte la jeune étudiante de L2 Langues étrangères appliquées (LEA). « Je suis Géorgienne et j’ai donc proposé d’utiliser ma langue maternelle. Nous trouvions cela assez original. C’est de là qu’est parti notre scénario. Il raconte l’histoire d’une famille géorgienne qui arrive en France après la guerre (ndlr : guerre entre la Russie et la Géorgie en 2008). La mère ne parle pas français, elle a deux filles, elles sont dans une situation irrégulière et vont recevoir une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Marta, l’ainé, qui est le personnage principal va essayer de sauver sa famille en participant à un concours d’éloquence ».
« Si nous avons choisi ce scénario, c’est qu’il y avait un thème social qui n’était pas présent dans les autres », poursuit Julien Humphreys. « De plus, c’est le court-métrage qui incorporait le mieux la langue étrangère. C’est ancré dans l’histoire, avec du vécu, une histoire qui sonne vraie. C’est le scénario qui nous a le plus inspiré ». Quand Tatia évoque le scénario qu’elle a développé avec ses deux camarades, elle a un grand sourire et les yeux pétillants de fierté : « Autour de nous, les gens ne se rendent pas compte de tout ce que nous avons traversé. Les gens ont besoin de savoir d’où nous venons, tout ce que nous avons fait pour être en France. C’est vraiment important de pouvoir le montrer ».
Un casting bien réussi
Le scénario choisi, il fallait passer à la suite du projet. Julien Humphreys a divisé le scénario en séquences et les a confiés aux différents groupes qui les ont retravaillés plus en profondeur. En mars, une fois ce travail terminé, ils ont pu attaquer le casting. Si deux personnages, et notamment le personnage principal, ont évolué à ce moment-là, passant de personnages masculins à personnages féminins, le casting s’est déroulé sans accroc. « J’avais très peur que personne ne se présente aux différents castings alors que finalement cela n’a pas été un obstacle », raconte le professeur. Bien au contraire, les étudiants ont vu leur casting s’étoffer de jour en jour, agrémenter de Pauline Desannaux, une comédienne professionnelle qui s’est investie bénévolement dans le projet, ainsi que de Teona Varshanidze, une professeure de danse traditionnelle géorgienne et sa fille Nia. Un casting qui s’est terminé par le recrutement de Marine qui interprète Marta, le personnage principal. « Je suis étudiante en droit à Pasteur », explique la jeune femme. « J’ai participé au concours d’éloquence Oratio et c’est là que j’ai entendu parler de ce casting. J’ai postulé, j’ai été recrutée et maintenant je prends part à cette belle aventure ». Comme Marine n’est pas Géorgienne, elle a dû s’entraîner à jouer avec un accent.
Silence, ça tourne !
Par la suite, les ateliers se sont consacrés au tournage à venir. Les étudiants ont travaillé sur les costumes, les décors, les accessoires. Doltin Baveux a également formé les étudiants aux aspects techniques. « Je suis l’atelier depuis le début de l’année, au niveau de l’écriture, au niveau de la préparation technique. Je leur dis ce qui est réalisable ou non. Je guide les étudiants. Je les ai par exemple formés sur la prise de son ». Dans cet atelier, pas de rôle défini. Tout le monde a travaillé sur le scénario, tout le monde a travaillé sur les costumes. Le but est de s’investir pleinement sur un projet. De son côté, Julien Humphreys s’est mis en relation avec l’association Welcome qui accueille des sans-papiers afin de pouvoir tourner au sein de leurs locaux. Le reste du tournage a eu lieu sur le campus de Mont-Saint-Aignan pendant quatre jours, notamment au sein de l’UFR Lettres et sciences humaines qui a beaucoup œuvré et aidé pour que cet atelier se déroule bien. Si Doltin Baveux est resté la personne en charge de la caméra, les étudiants n’ont pas chômé. Regards rivés sur les écrans, faisant des allers/retours pour mettre en place les décors, ajustant les costumes ou prenant le son, ils se sont mis dans la peau d’une véritable équipe de cinéma.
Vers la valorisation de ces nouvelles compétences
La prochaine étape ? Le montage, également réalisé par Doltin Baveux, mais avec les étudiants à proximité pour le guider dans leurs choix. Ensuite ? La diffusion du film, qui devrait faire maximum quinze minutes. Julien Humphreys envisage de faire une première projection du film en juin à destination de toutes les personnes qui ont pris part ou aidé le projet. Il aimerait ensuite que le film soit diffusé à la rentrée afin de recruter des nouveaux membres pour l’atelier. Enfin, les étudiants ayant participé cette année et qui continueraient l’atelier l’an prochain auront pour mission de promouvoir le film et de le proposer dans des cinémas ou des festivals de l’agglomération rouennaise.
Dernier défi pour Julien Humphreys : trouver comment valoriser cet atelier au niveau universitaire. « Nous nous sommes interrogés sur la valorisation de ces compétences. Comme c’est un projet ARE (accompagnement à la réussite étudiante), donc hors maquette, il n’y a pas de notes. Mais nous aimerions trouver quelque chose, peut-être que cet investissement devrait être pris en compte dans des jurys. Nous n’avons pas encore vraiment d’idées, mais ce serait bien que cet investissement soit récompensé », conclut l’enseignant.
Dernière mise à jour : 03/06/24
Date de publication : 28/05/24