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Archéométrie : analyser le passé grâce à la technologie

À la suite du 25e colloque de l’association du GMPCA (Groupe des Méthodes Pluridisciplinaires Contribuant à l’Archéologie), orchestré par l’université de Rouen Normandie et de Caen Normandie, les doctorantes et co-organisatrices Léa Mairaville et Zoé Sicard-Delage nous parlent de l’archéométrie, cette discipline à la croisée des techniques.

Ce colloque, qui a rassemblé près de 200 personnes, a permis aux chercheurs de se réunir autour de l’archéométrie et de ses différentes composantes. « Cette discipline concerne la prise de mesure répétable, la science des données que l’on peut quantifier, appliquée à l’archéologie », développe Léa Mairaville. Et à Zoé Sicard-Delage de renchérir : « il y a vraiment une notion de méthode, de protocoles et de moyens techniques ».

Léa Mairaville, est doctorante en troisième année au laboratoire IDEES de Rouen, après deux licences en histoire et géologie et un master en archéologie environnementale. Elle étudie le paléoenvironnement dans les vallées de la Seine sur 10 000 ans. « Entre Rouen et le Havre, à Lillebonne, se trouve une ancienne capitale romaine. Elle a subi beaucoup de changements dans la seconde moitié du IIIe siècle et je cherche à déterminer ce qu’il s’est passé. Pour cela j’étudie le sol grâce à des carottages qui me permettent de comprendre l’environnement à l’époque antique », développe la chercheuse.

Après une licence de géologie et un master en préhistoire et en géoarchéologie, Zoé Sicard-Delage intègre le laboratoire IDEES. En deuxième année de doctorat, elle analyse les accumulations sédimentaires dans la vallée de la Seine. Dans cette région, de nombreux sites archéologiques sont localisés sur des alluvions. « Je cherche à déterminer les sources de ces apports et la manière par laquelle ils sont amenés. J’essaie d’identifier les sédiments, de les remettre dans un contexte chronologique grâce à la datation des sédiments. Cela permet de mieux saisir ce qui affecte les sites archéologiques, mais aussi de comprendre pourquoi les humains se sont implantés à cet endroit », précise la doctorante.

L’archéologie se découpe en deux : une partie fruit de la recherche universitaire, qui regroupe des chantiers de fouilles, aidés de bénévoles, sur lesquels il n’y a pas de pression d’aménagement du territoire. L’autre versant est l’archéologie préventive, qui intervient avant la construction de bâtiments ou d’ouvrages. Dans les deux situations, l’archéologue peut faire appel à des archéomètres pour étudier le terrain. « Il y a énormément de spécialités au sein de ce métier : l’utilisation de certains outils spécifiques (LIDAR, carbone 14, analyse isotopique…), le travail à l’échelle macro ou microscopique, et ceux qui expérimentent pour développer de nouvelles méthodes », nous apprend Zoé Sicard-Delage.

L’UMR IDEES, auquel appartiennent les deux chercheuses, mobilise les domaines de la géographie humaine et physique. « Nous avons également un collègue en sociologie et en histoire. D’autres font aussi de la démographie et de l’urbanisme ou étudient les mobilités », explique Léa Mairaville. Les géographes physiques travaillent sur plusieurs échelles temporelles, sur différents objets (stalagmites dans des grottes, sites à l’étranger, formations sédimentaires…). « Ce qui nous relie ce sont les méthodes et certains sujets d’analyse que nous avons en commun. Il y a une solidarité très forte au sein du laboratoire et nous nous entraidons beaucoup », se réjouit Zoé Sicard-Delage.

Stockage des données et IA

L’archéométrie est, comme toutes les disciplines, traversée par des enjeux majeurs. Notamment celui du stockage des données. « Pour ma thèse, je dois modéliser en 3D grâce à une technique de photogrammétrie les carottes que je prélève. J’en fais ensuite une photo remise à plat (orthophoto) sur laquelle je peux zoomer afin de voir le moindre grain », développe Léa Mairaville. Mais ces informations pèsent très lourd et ont donc un coût environnemental important. La doctorante précise : « il faut réfléchir et se demander s’il est toujours pertinent d’avoir une résolution extrêmement fine partout ». L’intelligence artificielle (IA) pourrait-elle optimiser la prise de données ? Pour les deux scientifiques, la réponse est catégorique : non, l’IA ne remplacera pas leur métier. « L’archéométrie est un travail de terrain, ce que l’IA ne pourra jamais faire. Nous avons besoin d’aller sur place pour comprendre, discuter avec les autres chercheurs de la meilleure méthode à employer », ajoute Zoé Sicard-Delage. En revanche, les doctorantes s’accordent sur le fait que d’autres disciplines pourraient bénéficier de l’IA pour créer ou corriger des outils qui se servent du code.

La science, un bien commun

Le colloque a été l’occasion de rappeler l’importance du partage des connaissances entre scientifiques, mais aussi au grand public. Cela peut être bousculé par certaines politiques puisque les recherches sont financées par l’argent public. « Actuellement on observe des coupes budgétaires massives. Cela rend les campagnes de fouille très compliquées. Et cela se fait au détriment de la science et des chercheurs », déplore Zoé Sicard-Delage. Et à sa collègue de poursuivre : « Notre profession est mal vue parce qu’on ne fait pas de bénéfices. Mais nous travaillons pour apporter la connaissance au grand public, et éclairer l’histoire de chacun. Il faut continuer à faire entendre notre voix de scientifique ». Un travail qui est mis en péril par le changement climatique. Certains sites archéologiques situés dans des régions à risques comme sur des falaises, proches des côtes ou sujets aux sécheresses risquent de disparaître.

 

 

EN SAVOIR PLUS

Le site du laboratoire IDEES : https://umr-idees.fr/sites/rouen

 

Crédit photo : Léa Mairaville et Zoé Sicard-Delage

Date de publication : 29/04/25