Que peut apporter l’anarchisme au féminisme ? Le féminisme à l’anarchisme ? En posant cette double interrogation, le féminisme libertaire dévoile les angles morts de ces mouvements et permet d’approfondir leurs questionnements. La philosophe Irène Pereira a récemment publié (mai 2024) aux éditions Cavalier Bleu, « Le féminisme libertaire », un ouvrage revenant sur les principaux enjeux de ce mouvement et des débats qu’il suscite dans l’histoire des idées. Extraits choisis.
Il existe assez peu de documentation en histoire sur les femmes anarchistes de la deuxième partie du XXe siècle. Les travaux historiques se concentrent bien souvent sur la Belle Époque en France car il s’agit du moment où l’anarchisme est le plus influent au sein du mouvement ouvrier. Pour avoir une idée d’une trajectoire de femme anarchiste en France, dans la deuxième moitié du XXe siècle, on peut se tourner vers les mémoires de Lola Miesseroff.
Dans un article de 1997, Nicole Beaurain et Christiane Passevant fournissent des éléments pour tenter de combler la temporalité qui sépare les Mujeres libres des années 1990. Elles reviennent entre autres sur l’émergence dans les années 1970 de l’anarcha-féminisme aux États-Unis et rappellent l’importance qu’a eue dans les milieux anarchistes l’émission de Radio libertaire – Femmes libres – à partir de 1986. En mai 1992, est organisée la Rencontre internationale anarcho-féministe, sans doute un des premiers événements ouvertement intitulés de cette manière en France.
Malgré ce manque de documentations historiques, on possède en revanche depuis quelques années des travaux en sociologie portant sur les milieux anarchistes qui sans pouvoir nous donner une vision complète de cette mouvance apportent des éclairages.
En dépit des divergences qui peuvent caractériser les milieux libertaires, ils partagent des points communs : le recours à l’action directe qu’elle soit légale ou illégale (plutôt que le passage par les voies politiques institutionnelles) et des modes d’organisation horizontaux. En outre, pendant la deuxième moitié du XXe siècle, comme l’a mis en lumière l’éditeur anarchiste Mimmo Pucciarelli, la sociologie des milieux anarchistes a changé. Largement ouvrière à l’origine, elle est maintenant plutôt composée de personnes des classes moyennes.