Charly Machemehl, laboratoire CETAPS
Maître de conférence en histoire à l'UFR STAPS, enseignant-chercheur au CETAPS
"Le skateboard est souvent présenté par les acteurs sportifs comme une pratique qui s’est construite en dehors des institutions. Sur le plan historique, c’est très discutable. J’étudie donc ce processus d’institutionnalisation qui intervient près d’un siècle plus tard que pour la plupart des disciplines olympiques."
À l’occasion du colloque “Skateboard, de la rue aux jeux olympiques” prévu le 22 octobre prochain, nous avons rencontré Charly Machemehl pour une interview autour de la pratique, de la culture et de l’image que ce sport véhicule.
- Présentez-vous.
Charly Machemehl, enseignant-chercheur membre du CETAPS – Centre d’Etudes des Transformations des Activités Physiques et Sportives. J’ai soutenu une thèse en 2009 sur l’essor du sport en France et la naissance des politiques sportives. Je me suis intéressé plus particulièrement au cas de Rouen dans le premier vingtième siècle. Je continue à étudier les relations entre le sport et la ville dans une perspective historique.
- Vous organisez un colloque sur le “Skateboard, de la rue aux jeux olympiques”, comment s’articulent vos travaux de recherche autour de ce sujet ?
Le skateboard est souvent présenté par les acteurs sportifs comme une pratique qui s’est construite en dehors des institutions. Sur le plan historique, c’est très discutable. J’étudie donc ce processus d’institutionnalisation qui intervient près d’un siècle plus tard que pour la plupart des disciplines olympiques (qui étaient au cœur de ma thèse). L’arrivée du skateboard aux JO est considérée par certains comme une opportunité ou un aboutissement et pour d’autres un dévoiement de l’esprit du skate ou de l’olympisme. Ces prises de position dépendent beaucoup des intérêts des différents acteurs. Le colloque du 22 octobre vise à mieux comprendre ce qui se joue.
Par ailleurs, le skateboard est considéré comme une pratique urbaine dans le sens où il dépend de l’appropriation des espaces publics de la ville. Ainsi, la construction d’une rampe moderne ou d’un skatepark offre une alternative à la pratique de rue mais ne l’a fait pas disparaitre. On peut se demander si les JO vont faire évoluer la demande de pratique et le statut de la discipline. Il est possible d’aménager davantage de skateparks ou de rendre les villes plus accueillantes pour le skate, d’encourager des modèles autogérés ou dirigés, des cultures de la participation ou de la consommation… Tandis que le skateboard intègre les JO, il est peu probable que « le skate de rue » disparaisse, mais on peut relever le paradoxe entre la multiplication les interdictions de pratique dans l’espace public et le fait que la pratique vienne d’acquérir sa place dans la gigantesque et sélective organisation olympique. En somme, le skateboard permet de poser d’une manière originale la question du lien entre la vitrine olympique et ses potentiels effets sur la pratique de masse.
- Vos activités sportives vous ont-elles orientées à étudier sur le sport de rue ?
Assurément, mais je ne pourrais pas ouvrir un chantier de recherche à chaque fois que je prends du plaisir dans une pratique.
- Au niveau local (Rouen / Région), comment le skateboard s’inscrit dans l’espace public ?
C’est un des paradoxes des « sports de rue », l’équipement y joue un rôle important et structurant. Le principal skatepark de la métropole rouennaise est mal relié à la ville, régulièrement inondé, peu confortable tout en étant très fréquenté et, je pense, apprécié des pratiquants. Les modules ont été construits et continuent d’être entretenus par les skateurs (et les disciplines associées d’ailleurs). Bref, il s’y déploie une dynamique sportive et sociale durable mais dont les soutiens sont très modestes. Il me semble qu’il faudrait encourager le développement d’une pratique sportive plus accessible, ouverte, créative et au final vertueuse. Comme ailleurs en France, l’association gestionnaire de l’équipement devrait avoir les moyens de mener une politique en faveur des scolaires, des jeunes femmes, des plus âgés ou des personnes en situation de handicap… qu’ils viennent chercher de la compétition ou simplement un loisir.
- Vous avez travaillé au côté de l’équipe nationale de skateboard. Au même titre que les compétitions doivent se structurer, qu’est-ce-que cela implique pour les sportifs de cette discipline de faire leur entrée dans de telles compétitions ?
C’est une question difficile. Il existe déjà de grandes compétitions, mais cette fois l’enjeu est jugé supérieur. Outre le coup de jeune, l’importance économique du skateboard a beaucoup compté dans la décision du CIO. L’affaire devient sérieuse. À la fédération, on se préoccupe de la détection des talents, de la prévention des blessures, de la compréhension des mécanismes de performance et d’entraînement. Le financement, la communication, la professionnalisation des sportifs et de leurs encadrants sont aussi des enjeux très importants, sans compter que la gestion des carrières sportives et de la reconversion pose des questions d’éthique.
La recherche doit permettre de produire des connaissances spécifiques au skateboard dans une discipline peut-être moins « outillée » que les disciplines plus anciennes ou structurées. C’est un défi pour la Fédération Française de Roller et Skateboard (FFRS) qui ne peut appliquer les schémas des coureurs de fond à rollers ou du rink-hockey aux acrobates des épreuves de bowl et de skatepark. Cela dépasse la question de l’optimisation de la performance et touche aux cultures sportives.
- Pensez-vous que le sport de rue, tel que le skateboard, pourrait un jour s’intégrer dans une discipline enseignée dans la formation universitaire au même titre que par exemple, la gymnastique ou le football… ?
Je pense qu’il s’intègre déjà, mais on y attache plus ou moins d’importance selon les territoires et les établissements. Dans le secondaire, il existe des sections sportives à horaire aménagé à Bordeaux ou Biarritz par exemple. L’université de Rouen Normandie a mis en place un créneau Skateboard grâce à une convention avec l’association du skatepark de Rouen mais Lubrizol, puis le confinement et les inondations ont eu raison de la dynamique. Par ailleurs, le skateboard occupe une place dans les enseignements de sciences sociales en Licence et Master STAPS, mais il devrait aussi être intégré sous forme de pratique. Les thèses de doctorats devraient être des leviers pour construire le lien formation-recherche, comme cela s’est fait ou se fait dans différentes universités. J’ose espérer que le skateboard et les pratiques associées vont profiter de davantage de volontarisme politique et je pense que le développement de la thématique de recherche pourrait être un appui. C’est aussi le sens du colloque.