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Trump engagera-t-il un nouveau bras de fer avec le Venezuela ?

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Durant son premier mandat, Donald Trump avait appliqué une politique intransigeante et hostile à l’égard de son homologue vénézuélien Nicolas Maduro pour tenter de le chasser du pouvoir : sanctions économiques sévères sur les exportations pétrolières qui ont ruiné l’économie du Venezuela, soutien et même reconnaissance officielle du gouvernement alternatif de son principal adversaire politique… Lors de son second mandat, Trump optera-t-il de nouveau pour cette ligne ?


Le premier mandat de Donald Trump a été marqué par un blocus imposé au Venezuela. En 2018, les États-Unis étaient encore le premier client et fournisseur de la République bolivarienne ; mais à la suite des mesures coercitives unilatéralement édictées par Trump, les exportations de pétrole du Venezuela vers la puissance nord-américaine ont brutalement diminué et sont tombées, entre janvier et mars 2019, de 587 000 barils quotidiens à zéro.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a provoqué des tensions sur le marché pétrolier, et l’échec de la tentative du président du Parlement vénézuélien, le pro-américain Juan Guaido, à renverser Nicolas Maduro, président du pays depuis la mort d’Hugo Chavez en 2013, ont conduit Joe Biden à assouplir ces sanctions à partir d’octobre 2023, en particulier par l’intermédiaire de nouvelles autorisations d’exportations en faveur de la compagnie américaine Chevron. Malgré le rétablissement de certaines sanctions en avril dernier, les flux pétroliers entre les deux pays ont repris. En juillet 2024, Venezuela exportait 308 000 barils de pétrole par jour vers les États-Unis.

Les investitures présidentielles qui se dérouleront dans les deux pays en janvier 2025 pourraient se solder par une nouvelle réduction à néant des relations commerciales entre Washington et Caracas. Le 10, Nicolas Maduro sera investi président pour un troisième mandat, à l’issue du scrutin du 28 juillet qui lui a permis de se maintenir au pouvoir au prix de fraudes massives ; sa réélection n’est d’ailleurs pas reconnue par la plupart des États occidentaux. Dix jours plus tard, Donald Trump se réinstallera quant à lui à la Maison Blanche. Le retour du face à face entre ces des deux chefs d’État provoquera-t-il un nouveau bras de fer entre le Venezuela et les États-Unis ?

Une continuité avec Joe Biden ?

Michael Shifter, directeur du think tank Inter-American Dialogue, émet l’hypothèse d’une continuité avec la politique d’ouverture de Joe Biden sous Trump. Son argumentation repose sur le fait que la principale préoccupation de la nouvelle administration sera la rivalité des États-Unis avec la Chine. Or se confronter directement au Venezuela pourrait encore renforcer la proximité entre Maduro et Pékin.

De plus, le goût de Donald Trump pour les dirigeants autoritaires est bien connu et sa politique extérieure n’est pas guidée par un idéal démocratique. Un changement de position cynique sur le Venezuela, passant brutalement de la menace militaire à l’entente cordiale, comme il l’a fait avec la Corée du Nord en juin 2018, n’est pas à exclure. Sans oublier que Donald Trump ne pourra plus se présenter à un nouveau mandat présidentiel. Il se trouve dès lors affranchi de toute contrainte électorale qui le pousserait à entretenir la loyauté de la partie de l’électorat latino très hostile à Maduro, particulièrement décisif en Floride. Il y aura certes, en 2026, des élections de mi-mandat ; mais au vu des derniers scrutins, la Floride semble désormais solidement ancrée dans le camp républicain et peu susceptible de basculer du côté des Démocrates.


                         Publication de Marco Rubio sur le réseau social X du 31 juillet 2024.

Une politique d’ouverture pourrait également être justifiée par les besoins d’approvisionnement en énergie de l’économie américaine. Si le flux de pétrole provenant du Venezuela n’est pas vital pour les États-Unis (il représente autour de 1 % de leurs besoins d’approvisionnement), il sert toutefois à maintenir une pression à la baisse sur le prix du baril et à desserrer les liens au sein du bloc non occidental. Dans un contexte où Washington n’est plus aussi hégémonique dans le monde qu’au lendemain de la guerre froide, la puissance nord-américaine n’a peut-être pas intérêt à se mettre à dos simultanément la Chine, la Russie, l’Union européenne, le Canada, le Mexique, l’Iran, le Danemark, le Panama et le Venezuela – liste non exhaustive d’États ou d’organisations supranationales déjà menacés par Trump avant son investiture…

Le retour de la « pression maximale » ?

D’autres observateurs, comme l’économiste spécialiste du Venezuela Manuel Sutherland, annoncent au contraire le retour d’une politique dite de la « pression maximale » semblable à celle appliquée durant le premier mandat de Trump.

Pour Sutherland, les exportations de pétrole vénézuélien ne sont pas suffisamment importantes pour peser sur la politique étrangère de Donald Trump. De plus, la nomination par ce dernier, à des postes clés de son administration, de partisans d’une politique dure à l’égard de Maduro semble aller dans le sens de cette hypothèse. Ainsi, Marco Rubio, sénateur de Floride d’origine cubaine et proche des réseaux d’opposition cubains et vénézuéliens hostiles à Maduro, sera le nouveau secrétaire d’État. Richard Grenell, ancien directeur par intérim du renseignement national lors du premier mandat Trump, sera le conseiller du président pour les missions spéciales dans les lieux les plus conflictuels du monde, dont le Venezuela et la Corée du Nord. Même si les membres des administrations Trump ont généralement peu d’autonomie face au chef de l’État, ces nominations constituent des indices à prendre en compte.

D’autres signes encore nous poussent vers l’hypothèse d’un retour de la « pression maximale ». Le 18 novembre dernier, la Chambre des représentants américaine a adopté le Banning Operations and Leases with the Illegitimate Venezuelan Authoritarian Regime Act (BOLIVAR Act selon son acronyme), une loi interdisant les opérations et contrats avec le régime autoritaire illégitime vénézuélien, qui durcit les conditions d’accès pour ses dignitaires au marché étatsunien.

Le 16 décembre, depuis sa résidence privée de Mar-a-Lago, Donald Trump a déclaré :

« Tous les migrants du Venezuela devront retourner dans leur pays. Sinon, le Venezuela sera attaqué très durement sur le plan économique […]. Nous avons plus d’énergie fossile que n’importe quel autre pays. Nous allons l’utiliser. Nous n’avons pas à acheter celle du Venezuela parce que nous en avons cinquante fois plus qu’eux. »

Donald Trump brandit ainsi la menace d’un blocus économique afin de contraindre Caracas à aller dans le sens de sa politique migratoire. Il ne craint pas les répercussions sur l’économie américaine, qui pourra, selon lui, se détourner du pétrole vénézuélien grâce à sa propre production nationale d’énergies fossiles. Le prochain président promet, en effet, de mettre fin aux obstacles environnementaux qui limitent la fracturation hydraulique sur le sol étatsunien.

Une entente sur le dos des migrants vénézuéliens ?

La déclaration mentionnée plus haut est en apparence très offensive, mais elle sous-tend néanmoins une possible entente cynique entre les deux exécutifs qui se ferrait au détriment des migrants vénézuéliens.

Les mesures coercitives unilatérales édictées par Trump, conjuguées à la gabegie de Maduro, ont conduit à un effondrement économique du Venezuela dont le PIB a perdu 74 % de sa valeur entre 2014 et 2020. Cette chute économique a entraîné le départ d’environ 7,9 millions de Vénézuéliens – plus d’un quart de la population nationale. Les Vénézuéliens sont désormais la première nationalité parmi les migrants qui tentent d’entrer aux États-Unis via la frontière avec le Mexique.

Il est peu probable que Trump pousse au renversement du régime de Maduro comme il l’avait fait lors de son premier mandat. Sa tentative, en 2019, de reconnaître Juan Guaido comme chef de l’État du Venezuela est unanimement considérée comme un échec, tant par les chancelleries occidentales que par la majeure partie de l’opposition libérale vénézuélienne. Un basculement pourrait survenir si les grandes puissances favorables à Nicolas Maduro, la Russie et la Chine au premier chef, retiraient leur soutien au président vénézuélien ; mais cela ne semble pas d’actualité.

S’il est fort probable que Trump maintiendra une politique offensive à l’égard du Venezuela, le scénario d’un accord cynique pourrait être mis en œuvre à travers des rencontres discrètes entre des acteurs politiques et du secteur privé des deux pays. De telles tractations et, à terme, la mise en place d’un accord permettraient à Caracas d’éviter le durcissement de mesures coercitives unilatérales à son encontre. Mais cela se ferait au prix de retours forcés massifs de migrants vénézuéliens dans leur pays d’origine. Le lobby pétrolier étatsunien fait pression dans ce sens sous le slogan : « Plus de pétrole, moins de migrants. »

En tout état de cause, Maduro semble destiné à se maintenir au pouvoir. De sorte qu’une fois de plus, les Vénézuéliens seront les premiers à pâtir de ces manœuvres diplomatiques, en endurant à la fois les pressions xénophobes de Donald Trump et l’autoritarisme de Nicolas Maduro.

Auteur

Thomas Posado, maître de conférences en civilisation latino-américaine contemporaine, Université de Rouen Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Date de publication : 07/01/25