Prix Renaudot en 1984, Prix Marguerite Duras en 2008, Prix Strega en 2016 et évidemment, Prix Nobel en 2022, Annie Ernaux connaît les honneurs et les grandes distinctions. Son talent et son œuvre ont déjà été reconnus à de multiples reprises et la liste ci-dessus est non exhaustive. Pourtant, ce 10 décembre 2024, c’est un nouvel honneur qui a été fait à l’écrivaine. Annie Ernaux a reçu le 1er titre de docteure d’honneur de l’université de Rouen Normandie, établissement dans lequel elle a fait ses études au début des années 60.
Annie Ernaux à l’honneur
Doit-on encore la présenter tant sa renommée est grande ? Née en 1940 à Lillebonne, Annie Ernaux est une écrivaine française qui a également été enseignante dans le secondaire une grande partie de sa vie. Autrice de 22 romans entre 1974 et 2022, elle a reçu de nombreux prix tout au long de sa carrière, avec, en apothéose, le Prix Nobel de littérature en 2022.
Annie Ernaux a grandi dans un milieu social modeste et c’est quelque chose qui se retrouvera dans l’ensemble de son œuvre. Celle-ci est très majoritairement autobiographique et raconte notamment son avortement clandestin, ses liens avec son père, la honte sociale qu’elle a ressentie à de nombreux moments de sa vie, ses histoires d’amour, ou encore le temps qui passe.
« Je suis extrêmement émue. Une émotion que je n’attendais pas. Les mots que j’ai écrits étaient un peu lointains. Et là, je me retrouve dans quelque chose qui me paraît être le fondement de mon histoire ». C’est par ces mots qu’Annie Ernaux a commencé son discours après avoir reçu son diplôme de docteure d’honneur de l’Université des mains de Laurent Yon, Président de l’URN. Un discours en conclusion d’une magnifique cérémonie pleine d’émotions qui aura mis à l’honneur la seule écrivaine française lauréate du Prix Nobel de littérature.
Hommages et témoignages
C’est sous une standing ovation qu’Annie Ernaux est arrivée à l’université de Rouen Normandie, faisant face à près de 200 étudiants et personnels de l’URN venus lui rendre hommage. Accueillie par Laurent Yon, mais aussi Sylvain Ledda, professeur des universités et directeur du laboratoire CÉRÉdI et Laurence Macé, maîtresse de conférences, l’écrivaine a vécu un moment émouvant pendant 1h30. Les premiers discours ont été ceux de Laurent Yon, Sylvain Ledda et Laurence Macé, témoignant à la fois de leur admiration envers l’autrice et de la reconnaissance académique de l’institution universitaire. Par la suite, ce sont neuf étudiantes et étudiants du département de Lettres modernes qui ont pris la parole. Les six premiers ont lu de nombreux extraits des romans d’Annie Ernaux, comme ce passage tiré de La femme gelée : « Mais moi, je ne suis pas inscrite en lettres tout à fait à l’étourdi, pour passer mollement le temps, de façon cultivée, pas trop crevante. La fac, pour Ilda, c’est naturel, le cours des choses. Pour moi, un acte risqué », faisant écho à son rapport à l’Université. Les trois autres étudiants ont fait des témoignages plus personnels, racontant leurs liens avec les livres d’Annie Ernaux. Des témoignages lus sous les regards bienveillants de leurs professeurs et provoquant une vive émotion dans l’assemblée.
De l’importance de l’Université
Après de longues acclamations, Annie Ernaux a pris la parole pour évoquer son lien avec l’Université et faire part de son émotion suite à ces nombreux hommages. « C’est presque irréel. Comment en effet réaliser que la fille de 20 ans qui va entrer pour la première fois dans l’amphithéâtre 1 de la faculté de lettres de Rouen est la même que la femme de 84 ans devant vous. Cette identité ne peut être que dans la mémoire », déclare-t-elle. Connue pour ses prises de position engagée, l’autrice également a tenu à faire honneur à l’institution universitaire : « Je veux exprimer ici, mon attachement profond et indéfectible à cette institution de presque 900 ans qu’est l’Université française, dans un moment où elle est l’objet d’accusations par un anti-intellectualisme qui ne dit pas son nom. L’Université est, et reste, le lieu des savoirs critiques, de la liberté, de la diversité et par conséquent, une possibilité, toujours, de contestation ».
Après une dernière standing ovation, Annie Ernaux s’est rendue à la rencontre de ses très nombreux fans, étudiants comme personnels, venus l’attendre à la sortie de l’amphithéâtre pour une séance de dédicaces. À nouveau avec émotion, et même quelques larmes, ses lecteurs ont pu échanger quelques mots avec l’écrivaine. Un moment à l’image de cette cérémonie, entre hommages, émotions et admirations.
Les discours
« Annie Ernaux est une personnalité profondément engagée dans la société tant par son écriture que ses prises de positions publiques. Dans ses écrits elle aborde avec une voix singulière, des sujets sociaux et politiques tels que les inégalités de genre, la mémoire collective et les bouleversements sociétaux. Son œuvre, marquée par ce qu’elle appelle elle-même l’auto-socio-biographie, a une dimension universelle, défendant une approche féministe, les expériences des femmes, elle interroge les constructions identitaires et les rapports de pouvoir, dénonçant ainsi toutes les dominations sociales et culturelles. Au nom de toute la communauté de l’université de Rouen Normandie que je représente en tant que Président, je tiens à vous exprimer notre profonde gratitude pour l’honneur que vous nous faites en étant parmi nous aujourd’hui. Vous incarnez ce que nous inspirons à être et à transmettre : l’Université comme un lieu d’émancipation, de réflexion et de création, inscrit dans son territoire certes, mais résolument tourné vers le monde. En effet, à travers vos écrits, vous interrogez avec une acuité rare, les dynamiques sociales, les inégalités, les rapports complexes entre la mémoire individuelle et la mémoire collective. Ces thèmes résonnent particulièrement avec les valeurs que nous portons car nous croyons fermement à l’importance de rendre le savoir accessible à toutes et à tous, de favoriser l’innovation, dont l’innovation sociale au service du bien commun, et de contribuer à éclairer les enjeux contemporains. Vous êtes, Madame Ernaux, le parfait exemple de cette transmission et un modèle d’inspiration pour l’ensemble de notre communauté universitaire ».
Laurent Yon, Président de l’université de Rouen Normandie
« Le nom d’Annie Ernaux signifie quelque chose de tangible. Et d’emblée, les titres de vos récits ont fusé comme un élan : la honte, les années, l’événement, le jeune homme, l’autre fille, l’occupation. Même réaction avec les étudiants de Master. Il n’y a pas eu une seconde d’hésitation quand j’ai sollicité des volontaires pour lire des extraits de votre œuvre ou pour témoigner, alors même qu’ils n’ont jamais lu ou parlé publiquement. Votre œuvre est bien présente, elle fait partie de la culture des étudiantes et des étudiantes. Elle fait partie de notre imaginaire. Pour la communauté universitaire, votre présence ici résonne comme une évidence et comme une joie. Comme une fierté aussi, celle de penser qu’aujourd’hui sur le campus, les étudiantes et les étudiants mettent leurs pas dans les vôtres, avec leurs rêves et leurs craintes. Ils hantent les bancs de la faculté comme vous l’avez fait jadis dans les années 60. Ce passé étudiant que vous avez su faire vivre jusqu’à nous et qui par conséquent n’a jamais disparu. Pour les étudiantes et les étudiants de Rouen, pour mes collègues et pour l’ensemble des personnels, ce doctorat d’honneur salue votre œuvre et votre parcours d’exception. Mais par réverbération, il honore aussi nos disciplines qui ont tant besoin d’être défendues car elles sont menacées. À travers votre œuvre et votre présence, vous donnez sens à nos enseignements et à nos recherches ».
Sylvain Ledda, professeur des universités en littérature française et directeur du CÉRÉdI
« Ces années à la faculté des lettres marquent l’entrée de plain-pied dans un monde heureux et choisi, celui des études de lettres modernes. Et une confirmation, celle du rôle des livres et des effets de leur lecture dans votre vie qui devient projet d’écriture. « Je marche vers le livre que j’écrirai, comme deux ans auparavant je marchais vers l’amour », lit-on dans Mémoire de fille à propos de cette rentrée en fac de lettre en octobre 1960. Des étudiantes et étudiants de L2 qui se sont préparés depuis la rentrée donnent lecture d’un choix de vos textes. Puis mettant leurs pas dans les vôtres, d’autres osent poser leurs mots sur la marque vive et profonde que la rencontre d’un de vos récits, d’une de vos phrases, de votre œuvre enfin, a eu dans leurs parcours de lecteurs, d’étudiants, c’est-à-dire dans leurs vies ».
Laurence Macé, maîtresse de conférences en littérature française
L’université de Rouen Normandie a le plaisir d’accueillir Annie Ernaux, pour la remise de son diplôme de Docteur d’honneur 🎓
La cérémonie est tenue par @LaurentYon, Laurence Macé et Sylvain Ledda. pic.twitter.com/5E5ZtDpYAX
— Université de Rouen Normandie (@univrouen) December 10, 2024
Date de publication : 11/12/24