Béatrice Patte-Rouland, vice-présidente égalité, diversité et inclusion
Professeure des universités à l'IUT de Rouen - Laboratoire CORIA
"Parfois dans les laboratoires, les services ou les composantes, il y a des comportements qui ne sont pas admissibles. Il faut donc arriver à dire stop et à faire comprendre qu'on n'a pas à parler aux gens de cette façon-là ou à maintenir une pression de cette façon-là."
- Présentez-vous ! Quel est votre rôle au sein de l’Université ?
Je m’appelle Béatrice Patte-Rouland, je suis physicienne et professeure des universités à l’université de Rouen Normandie. Je suis membre d’un laboratoire de recherche qui s’appelle le CORIA et j’enseigne depuis quelques années à l’IUT. J’ai aussi eu des fonctions de direction, notamment du service d’information et d’orientation (ndlr : l’actuelle MIO) de l’URN pendant six ans et j’ai participé avec la présidence de l’époque à la création du Bureau d’aide à l’insertion professionnelle (BAIP). J’ai par ailleurs été, pendant plusieurs années, chargée de projet des villages des sciences de Rouen parce que j’avais pour objectif d’inciter les jeunes publics, enfants ou adolescents, à se tourner vers les filières scientifiques. À l’époque nous sentions une désaffection assez forte, surtout des jeunes femmes, à aller vers des carrières scientifiques. Malheureusement, cela se confirme au fur et à mesure du temps. À la suite de ces missions, j’ai été élue directrice de l’IUT de Rouen il y a une dizaine d’années. J’ai passé dix ans à la tête de cette composante, ce qui m’a appris à travailler avec les équipes, le terrain, les étudiants, au jour le jour. Ce fut également très enrichissant. Avec le CORIA, j’ai également travaillé sur le programme COP HERL, un projet pluridisciplinaire, avec 19 laboratoires. Cela m’a permis de travailler avec des personnes en sciences humaines et sociales, avec des géographes, des physiciens, des chimistes, des toxicologues.
Plus récemment, je suis devenue chargée de mission égalité, diversité, inclusion en octobre 2023, tant que j’étais encore directrice de l’IUT, puis nommée par l’URN vice-présidente égalité, diversité, inclusion en avril 2024. J’aime beaucoup ce que je fais actuellement et ce que j’ai fait par le passé, notamment parce que cela me permet de rencontrer des gens passionnés, au niveau des enseignants-chercheurs, mais aussi des services et directions. Je rencontre au quotidien des personnes aux profils multifacettes. C’est cela qui est intéressant. Je ne suis pas sûre que cela existe dans beaucoup d’endroits.
- Avant d’entrer dans la partie égalité/diversité/inclusion, parlez-nous de votre carrière d’enseignante-chercheuse ?
J’ai soutenu une thèse Cifre, en lien avec un industriel, à l’époque des problèmes liés à l’amiante. Je travaillais sur l’influence de la turbulence sur les procédés de fabrication de fibres de verre pour isoler les maisons, pour les liants des goudrons, etc. Quand ils produisaient leurs fibres, elles faisaient moins de 1 micron. Donc, elles étaient toxiques car trop petites. Il fallait absolument faire disparaître le pic de diamètre d’un micron et donc que toutes les productions fassent 5 microns. Je faisais des manipulations sur site industriel, ensuite je regardais en interne au laboratoire les résultats. Je faisais des simulations. Et au final, nous avons réussi à faire disparaître en bonne partie ces fibres de verre trop fines et donc toxiques.
Ensuite j’ai fait 20 heures d’enseignement à l’UFR Sciences et techniques. Et là, c’était le coup de cœur. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse cela. Mais ce n’était pas gagné d’avance parce que comme j’avais fait une thèse Cifre, je n’avais pas fait beaucoup d’heures d’enseignement. Mais, j’ai réussi à passer les étapes, et à partir de là je suis devenu maître de conférences. À l’UFR Sciences et techniques. J’ai continué à travailler quelques temps sur les écoulements turbulents, puis je suis partie sur la dispersion de polluants, sur les incendies, etc. En 2006, j’ai passé mon HDR (habilitation à diriger des recherches), et dans l’année qui a suivi, j’ai eu un poste de professeure des universités à l’IUT. J’ai apprécié ce changement car j’étais convaincue que dans l’enseignement, c’est quand les jeunes arrivent en première année à l’Université qu’il faut leur montrer un peu tout ce qui est possible au niveau de la recherche et des laboratoires. Je me sentais plus utile en première ou en deuxième année qu’en Master. Il n’y a pas plus beau que d’aider des jeunes à trouver leur voie.
Côté recherche, je n’ai jamais lâché, même avec la direction de l’IUT. J’ai toujours eu des doctorants. Pas forcément un grand nombre, souvent en co-encadrement avec d’autres collègues, mais je n’ai jamais abandonné cette facette parce que je pense que c’est bien de toucher à la fois à l’enseignement, la recherche et le côté plus institutionnel lié au fonctionnement de structure.
- Depuis quelques mois, vous êtes la vice-présidente en charge de l’égalité, de la diversité et de l’inclusion. Pouvez-vous nous dire en quoi cela consiste exactement ?
La mission est vaste. Derrière les mots égalité, diversité et inclusion, il y a énormément d’actions à mener, de stratégies à développer, de mise en œuvre pour lutter contre toute forme de discrimination. Il faut vraiment être vigilant sur beaucoup de points. Il faut aussi travailler sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il faut rééquilibrer les choses, notamment au niveau de la carrière. Nous avons la chance d’être dans une université dans laquelle il y a une présidence, une DRH, une DGS, et beaucoup de personnes qui sont très favorables à ces sujets. De mon côté, je propose des actions, des projets et j’ai la chance de toujours rencontrer un grand soutien. Par exemple, en ce qui concerne le prochain prix Johnson & Johnson qui sera remis en octobre 2024 afin de mettre en avant des jeunes femmes scientifiques, il y a des directeurs de composantes et des directeurs de laboratoires qui sont mobilisés pour qu’il y ait le plus de dossiers possibles.
Par ailleurs, il y a une charte pour l’inclusion qui va être signée en octobre par les dix présidents de l’alliance INGENIUM. Cela aussi, c’est une avancée : notre université aura signé par le biais de son président une charte sur l’inclusion. Il y a beaucoup de choses qui se mettent en place ou qui continuent à se mettre en place. La mission égalité diversité inclusion est ancienne. Elle date de 2011. Je ne suis pas la première à travailler sur ces sujets. Il y a déjà eu des guides qui ont été faits. Il y a eu la cellule d’écoute qui avait été proposée et qui doit être renforcée, mais qui existe depuis très longtemps. Nous sommes quand même dans une université où je sens que tout ce qui est inclusion fait partie des valeurs, à la fois des services, des directions et des composantes. Cela ne fait que quelques semaines que je suis vice-présidente, mais je n’ai jamais eu de barrage ou d’opposition. J’ai le sentiment de bien avancer sur ces domaines-là et d’être soutenue.
- Egalité, diversité, inclusion, ce sont trois grands mots qui veulent dire beaucoup. Comment travaille-t-on sur ces trois sujets à la fois ?
Nous sommes sollicités pour des cas très divers. Cela peut être du harcèlement sexuel, cela peut être du racisme, cela peut être de l’homophobie, cela peut être le harcèlement moral, cela peut être beaucoup de choses. Au niveau national ou international, il y a différentes actions qui sont menées et qui sont souvent assez ciblées sur un des domaines. À l’université, nous essayons de voir large et de faire des actions d’ampleur qui sensibilisent à l’ensemble de ces problèmes-là. Par exemple, j’ai participé à la formation sensibilisation contre les violences sexistes et sexuelles. Bien sûr, on y parle des VSS, mais on parle aussi d’autres formes de harcèlement. On arrive à, finalement, parler de toutes ces actions. On part d’un sujet, mais on va englober d’autres sujets parce qu’ils sont proches.
Ce qui m’a frappée dans cette mission, c’est que j’ai pu être connectée à plein de dossiers. À INGENIUM, parce qu’on porte le work package « Inclusion » au niveau international. Ce n’est pas rien puisque c’est un projet sur 10 ans. À l’Institut T.URN, parce qu’il y a un axe « qualité de vie au travail et des étudiants ». Aux écoles doctorales, car nous avons travaillé sur le lancement d’une formation autour du syndrome de l’imposteur pour les personnes qui ne se lancent pas ou n’osent pas se lancer. En fait, dans cette mission, on va travailler avec les laboratoires, avec les directions, avec les services, avec les composantes. C’est tellement transversal.
- Pouvez-vous nous donner des exemples de projets, d’événements sur lesquels vous travaillez depuis votre prise de poste ?
J’ai bien entendu conservé le maximum de choses qui avaient été faites, et bien faites, par des collègues par le passé. J’ai repris plusieurs des actions qui avaient été menées. Il faut noter qu’il y a à la fois des actions organisées à l’échelle de l’établissement comme la semaine des violences sexuelles pilotée par la Direction de la culture, et des journées nationales ou internationales comme celle de la lutte contre l’homophobie et pour lesquelles on communique sur des campagnes nationales. Dans les deux cas, nous essayons, avec la Direction de la communication, de relayer un maximum d’informations.
Avant la fin de l’année 2024, nous avons de très nombreuses actions à mener. Nous avons les formations dont j’ai déjà parlé précédemment. Nous avons la remise du prix Johnson & Johnson. Il y a la signature de la charte INGENIUM pour l’inclusion. Et je prends régulièrement part à des ateliers et des réunions, notamment dans le cadre de la convention régionale pour l’égalité des jeunes femmes et des jeunes hommes au niveau de la Normandie, ou encore du réseau national des chargés de mission égalité, diversité, inclusion.
- Parmi vos missions, il y a également la lutte contre le harcèlement. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La cellule d’écoute existait depuis longtemps. Elle n’est pas liée à ma venue en tant que vice-présidente. Ce qu’il faut, c’est arriver à ce que les étudiants, les usagers et le personnel fassent la démarche de contacter la cellule dès qu’il y a quelque chose d’anormal, même si cela peut sembler pas trop grave. Cela peut permettre d’éviter le pire. Nous avons aussi mis en place des formations ressources humaines sur la sensibilisation au harcèlement.
Nous aimerions aussi externaliser certaines démarches. C’est un travail en cours. En effet, quand il y a des signalements, il ne faut pas que les personnes sentent que cela reste à huis clos. Nous sommes dans une université, tout le monde se connaît. Il faut peut-être avoir un œil externe qui apporte du recul. Quand il y a un souci, on peut être amené à convoquer des collègues qu’on connait et pour lesquels on n’aurait jamais imaginé des choses graves. Mais si cela reste en interne, cela peut être compliqué. Le fait d’externaliser, en gardant quand même le lien fort avec la structure, cela peut mettre certaines personnes plus à l’aise dans la démarche.
- Comment arrive-t-on à lutter contre le harcèlement moral qui va être peut-être plus insidieux, plus de l’ordre du ressenti ?
Je pense que cela se fait déjà par la formation, mais également par de la sensibilisation. Parfois dans les laboratoires, les services ou les composantes, il y a des comportements qui ne sont pas admissibles. Malheureusement, ce sont souvent des choses historiques où les gens ne font presque plus attention. Or on peut mettre en péril des collègues ou des étudiants, dans ce système-là. Il faut donc arriver à dire stop et à faire comprendre qu’on n’a pas à parler aux gens de cette façon-là ou à maintenir une pression de cette façon-là. C’est aussi pour cela qu’il y a des formations qui sont mises en place. Il y a par exemple l’offre de formation « Devenir ambassadeur de l’inclusion ». Il y a aussi des formations pour les nouveaux maitres de conférences. Ces types de formations devraient aussi être incontournables quand on va être amené à diriger des équipes, dans des laboratoires, des services. Alerter, former et signaler sont des mots essentiels. D’ailleurs, c’est dans le code de l’éducation. Quand on repère quelque chose qui n’est pas normal, on doit le signaler. C’est la loi. Il faut arriver à ce que la démarche soit quelque chose de naturel. Nous sommes tous concernés. Nous ne pourrons nous en sortir que si tout le monde est conscient qu’il y a des choses qui ne peuvent pas se faire ou se dire. Et parfois, je pense qu’il y a des endroits où c’est plus difficile que d’autres parce qu’historiquement, il y a eu une façon de parler aux gens, de travailler. C’est là que c’est compliqué et que la sensibilisation est importante.