Céline Mahieu, maître de conférences en maïeutique
UFR Santé - Laboratoire CIRNEF
"J’ai réalisé mon parcours doctoral tout en maintenant mon activité professionnelle de sage-femme enseignante à temps plein. Mon emploi du temps était très chargé. J’ai dû m’autoréguler pour articuler mes différentes trajectoires de vie."
- Présentez-vous ! Quel est votre rôle au sein de l’université de Rouen Normandie ?
Depuis la soutenance de ma thèse en sciences de l’éducation et de la formation en mai 2023, j’ai le statut de chercheure associée au laboratoire CIRNEF, qui est le Centre interdisciplinaire de Recherche Normand en Education et Formation.
- Vous venez d’être élue maître de conférences en maïeutique/sciences de l’éducation à l’UFR Santé. Pouvez-vous nous parler du parcours atypique qui vous a amené jusque-là ?
Je suis de formation initiale sage-femme. J’ai exercé durant 13 ans en tant que sage-femme clinicienne en assurant des gardes en salle de naissance, en suites de naissance et aux urgences obstétricales, en animant des séances de préparation à la naissance et à la parentalité et en effectuant des consultations d’aide au sevrage tabagique pour les femmes enceintes et leur entourage proche.
Puis, en 2016, j’ai intégré le département des études de sage-femme au CHU de Rouen. Pour être sage-femme enseignante, il est nécessaire de détenir un diplôme de Master dans l’une des disciplines stipulées dans l’arrêté du 17 mai 2016. Alors, j’ai décidé de reprendre des études en sciences de l’éducation et de la formation. J’ai choisi le Master d’ingénierie de l’éducation à la santé et de l’éducation thérapeutique (IESET). C’était celui qui me correspondait en tant que soignante et enseignante. Je renforçais mes connaissances et mes compétences en termes d’éducation pour la santé et d’éducation thérapeutique. Au cours de cette année de Master, j’ai beaucoup apprécié l’approche réflexive et la recherche. J’ai découvert de nouveaux concepts tels que, notamment, l’universitarisation, la professionnalisation, l’accompagnement. Cela m’a donné l’envie de poursuivre en thèse. J’ai réalisé mon parcours doctoral tout en maintenant mon activité professionnelle de sage-femme enseignante à temps plein. Mon emploi du temps était très chargé. J’ai dû m’autoréguler pour articuler mes différentes trajectoires de vie. J’ai apprécié les échanges avec ma directrice de thèse, Mme Emmanuelle Annoot, avec l’ingénieure d’études du CIRNEF, Mme Claudie Bobineau et plusieurs enseignants-chercheurs et doctorants. Cela m’a permis de m’acculturer à l’habitus universitaire et à la discipline des sciences de l’éducation et de la formation.
Après la soutenance de ma thèse en mai dernier, j’ai souhaité poursuivre une activité de recherche. Désormais, je la fais uniquement sur mon temps personnel. Ce poste d’enseignant-chercheur me permettra de consacrer davantage de temps aux travaux de recherche, et que ceux-ci soient reconnus. Avoir un poste d’enseignant-chercheur me permettra de participer aux réunions, séminaires, journées scientifiques et colloques organisés par le CIRNEF. Cela me permettra également de me déplacer en colloque plus facilement, pour réseauter, comme disent les Québécois, et d’avoir plus de temps pour publier des articles.
- Parlez-nous de votre thèse et de vos sujets de recherche.
J’ai réalisé une thèse intitulée « Représentations de l’engagement en doctorat des sages-femmes enseignantes », sous la direction de Mme Emmanuelle Annoot, professeure des universités en sciences de l’éducation et de la formation, membre du CIRNEF. J’étais inscrite à l’école doctorale Homme, Sociétés, Risques, Territoire (ED HSRT, n° 556) de l’université de Rouen Normandie. Ma thèse porte sur des concepts tels que l’engagement en formation, le sentiment d’efficacité personnelle, le parcours de vie, le genre et le care, le processus d’apprentissage doctoral ou bien encore l’universitarisation et la professionnalisation. J’ai déployé une étude empirique avec une approche méthodologique qualitative longitudinale en réalisant deux séries de quinze entretiens semi-dirigés auprès de sages-femmes enseignantes vivant l’expérience doctorale à un an d’intervalle de façon à mettre en exergue l’évolution de leurs représentations de l’engagement en doctorat. J’ai pu révéler que cet engagement représente pour elles un investissement et un espoir pour leur profession et pour la maïeutique, reconnue depuis 2019 en tant que discipline académique au conseil national des universités. Ma thèse met en exergue les facteurs qui ont une influence sur l’amorçage et le maintien de l’engagement en doctorat. Entre autres, il apparaît que la reconnaissance du travail doctoral par autrui (les proches, les collègues, la supervision de thèse) occupe une place importante. Sans cette reconnaissance, sans un sens accordé au doctorat, sans une conciliation satisfaisante de la trajectoire de vie doctorale avec celle personnelle et celle professionnelle, les doctorants en reprise d’études et tout particulièrement les doctorantes en reprise d’études sont à risque d’épuisement académique et d’abandon des études doctorales.
Actuellement, je poursuis une activité de recherche dans le cadre d’un projet de recherche internationale francophone sur l’évaluation des dispositifs doctoraux. Ce projet est piloté par Emmanuelle Annoot, Elsa Chachkine, maître de conférences HDR en sciences de l’éducation et de la formation au CNAM et Maryvonne Charmillot, enseignante et chercheure à l’université de Genève. Nous nous sommes déjà réunis au CNAm le 14 novembre 2023 et nous nous retrouverons lors d’un symposium à l’occasion des XVIIIèmes rencontres du réseau international francophone de recherche en éducation et formation organisé à Fribourg en Suisse début juillet 2024.
J’ai plusieurs idées de recherche pour l’avenir. J’aimerais notamment développer des projets de recherche de façon transdisciplinaire (sciences de la santé et sciences de l’éducation et de la formation).
- Quand on travaille dans le milieu médical, comment se retrouve-t-on à faire sa thèse en sciences de l’éducation ?
La maïeutique inclut une approche par les sciences humaines et sociales, puisque les métiers de la santé sont des métiers du lien. Les professionnels de santé agissent pour que l’autre « se développe, se transforme, se conforte, ou se reconstruise, voire se reconnaisse » expliquent Jean-Yves Bodergat et Pablo Buznic-Bourgeacq. La maïeutique se situe au carrefour de plusieurs disciplines, comme le précisent Priscille Sauvegrain et al. en 2024. : « La recherche sur la profession de sage-femme englobe toutes les activités de recherche liées à celle-ci : la recherche empirique, clinique et fondamentale sur la profession ; la recherche sur la formation des sages-femmes, la profession, son évolution et son rôle sociétal ; et enfin, la recherche sur l’organisation des systèmes et services de soins de santé impliquant spécifiquement les sages-femmes ». Tout ceci n’est pas sans rappeler une autre discipline : les sciences de l’éducation et de la formation, qui sont également pluridisciplinaires.
L’éducation à la santé et l’éducation thérapeutique relient les disciplines des sciences de la santé et des sciences de l’éducation et de la formation. Par exemple, les données de la recherche montrent que prescrire un comportement à un patient n’apporte pas toujours des résultats satisfaisants. Parfois, il convient au soignant de mobiliser des compétences d’éducation pour parvenir à faire évoluer le comportement du patient afin que son comportement soit plus sain.
De plus, la pédagogie universitaire médicale constitue également un champ de recherche commun.
- Vous venez d’obtenir le prix Ilham Badran. Pouvez-vous nous en dire plus sur celui-ci ?
Le prix Ilham Badran est attribué à des travaux doctoraux concernant les apprentissages ou l’éducation scolaires pouvant nourrir la formation des enseignants. Il permet de soutenir financièrement et scientifiquement les lauréats pour assister à des colloques, des journées d’étude, des séminaires nationaux ou internationaux, ou bien pour publier des travaux de thèse.
- Ce prix devrait vous aider à valoriser vos recherches. En quoi est-ce important et essentiel de le faire ?
La recherche permet de construire de nouveaux savoirs, que ce soit par exemple avec une visée heuristique ou bien praxéologique. Il est important de partager ces nouveaux savoirs et de communiquer. Qui plus est, la recherche tout comme le chercheur ne se construisent pas seuls. Ils ont besoin de se confronter aux autres pour « grandir ».
« Pensez à l’écriture de la science, c’est prendre au sérieux la responsabilité du chercheur face au monde qu’il contribue à construire et transformer à travers ses textes » (Charmillot, 2013, p. 166).