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Rencontre avec un enseignant-chercheur de l'Université

Denis Lebrun, professeur des universités en physique

UFR Sciences et techniques, laboratoire CORIA UMR 6614

"Avec l'holographie, pas la peine de régler la mise au point comme avec un microscope classique. On enregistre l'hologramme, et ensuite à son bureau, on peut faire la mise au point numériquement, avec la molette de la souris par exemple."

  • Présentez-vous ! Quel est votre rôle au sein de l’université de Rouen Normandie ?

Je m’appelle Denis Lebrun et je suis enseignant-chercheur : professeur à l’université de Rouen Normandie depuis 2001, et avant cela maître de conférences depuis 1993. J’ai d’ailleurs fait ma thèse et mes études à l’URN.  Je suis un pur produit de cette université. Je suis un membre du laboratoire CORIA UMR6614. Je fais ma recherche dans un des trois départements de cette unité de recherche qui s’appelle optique & lasers. Notre but est de développer des diagnostics optiques innovants pour faire des mesures dans les fluides et dans les flammes pour d’autres secteurs de recherche qui intéressent le CORIA, d’autres laboratoires et également dans l’industrie.

  • Vous êtes spécialiste de l’holographie numérique. Qu’est-ce que c’est exactement ?

Je vais vous dire la même chose que ce que je fais en introduction de mes cours. Je vous annonce que l’hologramme de Jean-Luc Mélenchon n’est pas un hologramme. Certes c’est une technologie bluffante, mais c’est plutôt un effet d’optique à travers un miroir semi-transparent. On observe une image sur une scène, mais ce n’est pas un hologramme tel qu’il a été défini par son inventeur Dennis Gabor. Un hologramme, c’est enregistrer des ondes lumineuses à l’aide d’un procédé qui s’appelle les interférences. On crée des interférences entre un faisceau qu’on appelle un faisceau de référence et une onde qui vient d’un objet qu’on veut holographier. Une fois qu’on a enregistré cette figure, lorsqu’on la rééclaire par le faisceau laser de référence mais sans l’objet, eh bien on voit une image de l’objet tel qu’il était au moment de l’enregistrement, comme s’il était présent dans l’air, en trois dimensions. C’est un peu comme dans Star Wars quand les Jedi font leurs réunions. Là c’est vraiment de l’holographie qui a été imaginée par le réalisateur. On voit sous plusieurs angles les personnages en 3D qui flottent dans l’air devant nous alors qu’ils sont à distance.

Là je parle de l’hologramme classique tel qu’il a été inventé en 1948 par Dennis Gabor. Après son invention, cette découverte est restée dans l’oubli pendant longtemps et est réapparue en 1962 lorsque les lasers ont été découverts. À ce moment-là, il a été possible d’enregistrer des hologrammes optiques. Dans les années 70/80, il y a eu une prolifération de musées de l’holographie, d’expositions. Ensuite cela a été à nouveau un peu délaissé faute d’applications industrielles simples d’utilisation. Puis dans les années 2000, avec l’évolution des caméras et la toute-puissance de l’imagerie numérique, on est passé à l’étape de l’holographie dite numérique. C’est à dire que le support servant à enregistrer les interférences n’était plus comme une pellicule photo ou un support argentique mais il est devenu vraiment numérique. Nous ce que nous faisons, c’est moins spectaculaire que l’holographie classique mais c’est beaucoup plus pratique. À partir de l’hologramme nous restituons les images par calcul. Nous pouvons faire comme un scanner, c’est à dire restituer plan par plan tout un volume.

  • Sur quoi portent vos recherches exactement ? Avec quelle visée « pratique » ?

Il y en a beaucoup ! Pas seulement dans le domaine de la mécanique des fluides, mais aussi en biologie, pour l’imagerie cellulaire par exemple. Je vous donne un exemple : avec un microscope classique, on dépose la préparation sur une plaque et on doit mettre au point parfaitement sur l’objet qu’on regarde. Si on sort un petit peu de la mise au point, cela devient flou tout de suite. Avec l’holographie, pas la peine de régler la mise au point. On enregistre l’hologramme, et ensuite à son bureau, on peut faire la mise au point numériquement, avec la molette de la souris par exemple. On va pouvoir mettre au point sur une première cellule, puis sur une seconde qui se trouve derrière ou devant. Au lieu d’enregistrer une préparation sur une plaque, on peut enregistrer tout un volume de profondeur. Au niveau de la mécanique des fluides, je peux vous donner d’autres exemples. Nous avons, par exemple, travaillé au bassin des carènes qui s’appelle désormais centre DGA Techniques hydrodynamiques. C’est un équipement à Val-de-Reuil qui a entre autres pour but d’étudier  les  phénomènes de cavitation produits par les hélices de bateaux ou de sous-marins. Cela crée des petites bulles. Et nous, nous avons holographié ces petites bulles. Autre exemple : avec EDF, nous avons travaillé sur les tours aéroréfrigérantes de la centrale nucléaire du Bugey dans l’Ain. Nous avons mesuré la taille des gouttelettes d’eau qui sortent de ces panaches de fumée.

  • Vous êtes professeur, au niveau de vos enseignements que cherchez-vous à transmettre ?

Je donne des cours de la L1 jusqu’au M2, mais aussi à l’école doctorale. J’enseigne à tous les niveaux. Je dirais que c’est plus difficile de donner des cours aux premières années. Ce sont des étudiants qui sortent tout juste du lycée et dont on ne sait pas bien quelles sont leurs connaissances. Il faut réussir à transmettre les bases tout en gardant captif le public. Je ne veux pas qu’ils s’ennuient. Ils sont nombreux en L1 et ma crainte, c’est qu’ils décrochent, que l’attention baisse. Donc j’essaye toujours de raconter des anecdotes, de parler de Star Wars par exemple, ou de raconter des manipulations que nous avons conçues avec des doctorants. En M2, on est beaucoup plus proche de ce qu’on fait dans les laboratoires. Donc je l’enseigne forcément avec plus de facilités parce que j’ai l’habitude d’en parler dans les congrès ou dans les salons. J’aime beaucoup enseigner.

  • Vous faites partie du laboratoire CORIA. Globalement sur quoi travail ce laboratoire ?

Il y a une partie du laboratoire qui étudie la combustion, c’est-à-dire partout où cela brûle. Cela peut aller du fonctionnement des chaudières jusqu’au domaine de l’aéronautique et la propulsion à réaction. Ensuite, il y a une partie importante qui travaille sur les écoulements gazeux, les écoulements liquides et leur pulvérisation à l’aide d’injecteurs. Il y a 30 ans, la recherche était fortement focalisée sur l’ injection essence dans les moteurs. J’ai baigné là-dedans car c’était l’un des principaux axes de travail du laboratoire pendant des années : la pulvérisation de carburants en petites gouttelettes de manière à ce que la combustion soit la plus propre possible et avec le meilleur rendement. Malgré les évolutions des véhicules, il y a toujours toute une activité qui va du jet liquide jusqu’à la pulvérisation. Et le CORIA est en mesure de faire la modélisation numérique de tous ces jets. Enfin, il y a la partie diagnostics/lasers qui est très importante pour tout ce qui est métrologie dans les fluides et dans les flammes. C’est l’équipe du laboratoire dont je fais partie. Nous travaillons en commun avec les deux autres départements du CORIA afin de concevoir ensemble des outils de mesure nouveaux.

  • Le CORIA participe aux Journées européennes du Patrimoine. Pourquoi est-ce important d’ouvrir ses portes à des personnes qui ne connaissent pas forcément ce milieu ?

C’est essentiel de montrer que nous ne sommes pas déconnectés des préoccupations quotidiennes du citoyen. Par exemple, certains des chercheurs du CORIA travaillent sur l’éolien, d’autres sur les fluides viscoélastiques. Ces fluides, qui composent la salive sont fortement liés à la propagation des virus. Nos recherches sont donc parfois liées à des préoccupations de santé publique. C’est important d’attirer l’attention des citoyens sur le fait que nous puissions faire de la recherche qui soit effectivement parfois complètement déconnectée, mais qu’il y a toujours des retombées scientifiques intéressantes d’un point de vue médical, environnemental, industriel, etc. Et en dehors de cela, il y a aussi le plaisir de communiquer, de partager ce que nous faisons.